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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Jean-Michel Mouton Le Sinaï médiéval - Un espace stratégique de l’Islam PUF 2001 / 25 € - 163.75 ffr. / 224 pages ISBN : 2130506321 Imprimer
On connaissait la fâcheuse tendance de nombre duniversitaires et dhistoriens « professionnels » à ignorer ou mépriser limportance quont eu les grands hommes et les événements sur le cours de lhistoire, au profit dune approche privilégiant de manière trop exclusive la sociologie, léconomie, lhistoire des mentalités, bref, la masse par rapport à lindividu. La conséquence en est la production douvrages intellectualisés à lextrême, dégoûtant de cette discipline un public qui préfère assouvir sa soif dhistoire par la lecture de médiocres romans historiques. Mais les travaux scientifiques ont également le tort de sabstraire de plus en plus de la géographie.
Or, lhistoire est le fruit de rapports si complexes entre lhomme et son milieu quil est souvent bien difficile de dire qui influence le plus lautre. Lawrence dArabie faisait ainsi remarquer dans les Sept piliers de la sagesse que les grandes religions monothéistes et prosélytes sont toutes nées dans le désert. Par sa dureté, sa monotonie et sa grandeur, lévidence des choix quil impose, cest cet environnement hostile qui susciterait le mieux le besoin dabsolu et de spiritualité de lhomme. Plus tard, René Grousset montrait dans son Empire des steppes que la steppe asiatique avait été la matrice doù sont issues toutes les grandes migrations et invasions qui firent lhistoire de lEurope et de lAsie - de lAntiquité au XVIe siècle.
Depuis les grandes synthèses de René Grousset et Fernand Braudel sur lAsie et la Méditerranée, on serait bien en peine de citer beaucoup douvrages dans lesquels histoire et géographie sont associées pour le bénéfice commun de lune et de lautre. Le Sinaï médiéval de J.-M. Mouton ressuscite ce genre, à un niveau évidemment plus modeste. Le choix du thème de cette monographie est judicieux car exemplaire à plus dun titre. En effet, le milieu désertique, parce quil fragilise les implantations humaines et les rend plus vulnérables aux changements politiques et économiques, accentue et accélère les évolutions naturelles, qui en sont dautant plus visibles et compréhensibles. Les ports, les villes, les localités, les oasis apparaissent et disparaissent au gré des guerres ou des travaux entrepris par les souverains égyptiens.
Lespace sinaïtique connut en outre bien des bouleversements tout au long du Moyen Age. Terre profondément chrétienne à la veille de lexpansion arabe, le Sinaï fut rapidement et brutalement islamisé par les omeyyades et les abbassides. La rivalité entre les califes du Caire et de Bagdad, puis la conquête de la Syrie par les Seldjoukides firent de la péninsule un lieu daffrontements et de frontières. La fondation du royaume de Jérusalem par les croisés accrut encore la fracture, avant que lunification de la Syrie et de lEgypte sous le sceptre de Saladin ne rende au Sinaï le rôle de trait dunion entre Méditerranée et Mer Rouge, entre Afrique et Proche-Orient, quil avait eu avant les grandes convulsions historiques des VIIe-XIIe siècles. Et pourtant, on est frappé par la permanence de nombreux éléments. Le monastère de Sainte-Catherine réussit ainsi à survivre au milieu dun environnement hostile et à rester un lieu de pèlerinage très actif. Le désert fut toujours habité et dominé par les bédouins, et les souverains musulmans, y compris les plus puissants, obligés de composer avec eux. Les sultans égyptiens multiplièrent les postes fortifiés, jouèrent des rivalités opposant les tribus nomades, sans pourtant être en mesure dassurer une parfaite sécurité sur les routes du Sinaï. Perdura également fort longtemps la division entre le nord de la péninsule, domaine du désert côtier et du grand plateau central, par où passaient les principaux itinéraires commerciaux et la route du pèlerinage de la Mecque, et le massif montagneux du sud, où se trouve Sainte-Catherine. Si la partie septentrionale fut toujours dominée par lEgypte, le sud resta longtemps rattaché à la Palestine et à lArabie.
Les géographes et les hommes ont dailleurs perçu très tardivement quil existait un espace géographique nommé Sinaï et doté de caractères propres, même si son unité commence à saffirmer à la fin du Moyen Age. Ce nest pas le moindre mérite de cet ouvrage que de montrer comment sest forgé un concept géographique qui paraît aujourdhui évident. Le style de lauteur est agréable et clair, et le lecteur retrouve tous les noms de lieux cités dans le texte sur des cartes qui ne sont pas surchargées. Si louvrage sadresse à un public déjà intéressé par lhistoire du Proche-Orient et des croisades, il nest aucunement besoin dêtre un spécialiste de la civilisation islamique pour lapprécier et le comprendre. On ne peut que souhaiter que les études de ce genre se fassent plus nombreuses, y compris sous nos latitudes.
Amable Sablon du Corail ( Mis en ligne le 11/04/2002 ) Imprimer | | |
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