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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Bernard Wasserstein Les Juifs d’Europe depuis 1945 - Une diaspora en voie de disparition (Vanishing Diaspora) Calmann-Lévy 2000 / 27.48 € - 179.99 ffr. / 356 pages ISBN : 2-7021-3076-3 Imprimer
Cest par un tableau dont les bilans sont alarmants que débute louvrage de Bernard Wasserstein, historien anglais, président du Centre for Hebrew and Jewish studies. 10 millions en 1939, les Juifs dEurope ne seraient plus actuellement que 1,6 millions. Cest à partir de ce constat, décliné en autant de rapports macabres pour chacun des pays européens, que lhistorien développe ensuite sa thèse : la communauté juive européenne, suivant plusieurs facteurs -démographique, historique, sociologique et culturel- serait en voie de disparition.
Ouvrage des plus polémiques, paru en 1996 outre-Manche, Vanishing Diaspora, titre original que lon préférera à sa traduction française, arrive dans une France que lhistoriographie et lactualité intéressent à nouveau à la Question juive.
En une dizaine de chapitres, Bernard Wasserstein propose un panorama historique et régionalisé de lhistoire dun peuple dans ses derniers développements. Force est de constater en effet que la Shoah, sa mémoire et le traitement de cette mémoire monopolisent lessentiel de la production actuelle concernant le peuple juif. Cest par conséquent avec grand intérêt quil faut accueillir une étude inscrite dans ce champs historiographique épineux et souvent délaissé qui est celui du temps présent. Lentreprise est cependant trop vaste pour être exhaustive. Bernard Wasserstein ne propose quun survol dune histoire plus ou moins connue. Son propos est fondé sur des archives personnelles, essentiellement journalistiques -le recours aux sondages, typiquement anglo-saxon, pourra dailleurs paraître excessif.
La ligne de partage que propose lhistorien se confond avec le rideau de fer. De part et dautre, schématiquement, la fin de la Diaspora suivrait deux chemins différents. A la saignée démographique qui, bon gré mal gré, concernerait depuis la fin de la guerre les Juifs de Russie et dEurope de lEst, émigrant vers Israël ou les Etats-Unis pour fuir les exactions commises contre eux à intervalles réguliers, correspondrait en Europe occidentale la disparition identitaire dune communauté phagocytée par des modèles culturels nationaux. Pour lauteur, "dans tous les pays dEurope centrale et orientale, les cimetières sont les seuls signes encore visibles de lintense vie juive qui y régnait autrefois" (p.246.) alors que plus à louest "cest la tolérance des sociétés ouvertes qui semble le principal danger pour leur survie collective" (p.289).
Lhistorien impute au développement des mariages mixtes et au phénomène général du déclin des religions en Occident lévanouissement dune population particulière en perte de ses racines culturelles. La baisse des pratiques religieuses et la disparition des langues de la Diaspora que sont le Yiddish et le Ladino en témoignent.
Il est incontestable que le choc et la saignée de la Shoah, ainsi que la création en 1948 de lEtat dIsraël, ont vidé une partie de lEurope de ses populations juives. La thèse de la disparition culturelle est plus contestable. Bernard Wasserstein semble prisonnier dune situation anglaise quil généraliserait au reste de lEurope occidentale. Or, il semble quun revival identitaire et religieux juif concerne par exemple la communauté française depuis quelques années. On peut ainsi douter que les Juifs dEurope soient sur le même chemin que cette petite communauté juive de Chine, à Kaifeng, disparue par acculturation au bout de huit siècles (!) et que lauteur prend en exemple pour étayer son argumentation.
Plus importante et intéressante est la masse dinformations, parfaitement documentée, quil propose au fil de son ouvrage. On appréciera les mises au point faites sur le sort des DP -Deplaced People- terme "euphémistique" désignant, entre autres, les Juifs dEurope orientale désorientés par la guerre. En loccurrence, laffaire de lExodus en 1947 ne fut que la partie émergée, parce que médiatisée, dune histoire généralement méconnue : celle de milliers de Juifs apatrides et perdus dans une Europe détruite, prisonniers dun no-man's-land juridique rappelant les conclusions développées par Hannah Arendt dans son fameux essai sur limpérialisme.
Le rôle joué par dimportants groupes de pression américains, à linstar du plus puissant dentre eux, le Joint (American Jewish Joint Distribution Committee), dans la prise en charge de ces DP et leur émigration vers la Palestine est parfaitement mis en avant par Bernard Wasserstein.
Une histoire de lantisémitisme est esquissée. Le juif bourgeois subira le courroux du Grand Frère -pensons au procès des blouses blanches en 1953 par exemple et aux représailles entreprises au nom du jadnovisme contre les Juifs banquiers et intellectuels- autant que limage du juif révolutionnaire, dans lEurope encore non soviétisée de 1944 aura pu effrayer et susciter des exactions tout aussi sévères. Ce que Wasserstein explique de manière convaincante, cest que les années 50 voient la disparition en Europe de limage du Juif socialiste et révolutionnaire, dont mai 68 en France ne marquera quun retour temporaire.
La donne géopolitique nouvelle née de la naissance dIsraël conjuguera ensuite lantisémitisme à lantisionisme à Moscou autant quau sein de certains groupes ultra-gauchistes dEurope occidentale; pensons au phénomène du négationnisme qui ne mobilisa pas quun antisémitisme traditionnellement identifié à droite. Ici, Wasserstein semble minimiser un phénomène pourtant inquiétant. Sans doute déformée par son point de vue anglais, la lunette utilisée par lauteur pour identifier lantisémitisme européen ne donne quune image imparfaite et peu alarmante ici de soubresauts pourtant fréquents.
Un chapitre passionnant est consacré aux relations entre léglise catholique et le judaïsme. Le Vatican, "première institution antisémite" (p.149) en 1945 subit une véritable révolution qui le conduira au concile Vatican II en 1959. De longs développements sont consacrés à cette histoire, de même quà celle des rapports entre lAllemagne et les Juifs. Le volontarisme dAdenauer est souligné alors que le traumatisme toujours pas diagnostiqué en Autriche promet dinquiétantes montées aux extrêmes...
Ce sur quoi insiste Wasserstein est la "centralité" que possède à son avis lEtat dIsraël dans la vie de la communauté juive européenne. Nouvel Eldorado pour les Juifs de lEst, Jérusalem bénéficie côté occidental dune tolérance bienveillante qui ne déplace pas pour autant les populations jusqu'à elle, comme dans le cas de la communauté américaine. Mais menacées de disparition culturelle, les populations juives dEurope occidentale verraient en Israël la réponse à un besoin de survie, une icône réconfortante.
En ce second XXè siècle, le sionisme, courant jusque-là ultra-minoritaire et considéré comme utopique, prend ainsi, avec larrivée dHitler au pouvoir et la Seconde Guerre mondiale, une importance inédite et toujours croissante.
Par-delà le message un peu trop alarmiste qui guide sa plume, Wasserstein propose un panorama intéressant, à la fois historique et culturel, sociologique et démographique dune population en fait méconnue. Peut-être insiste-t-il trop parfois sur lidentification de ces Juifs dEurope, au point de développer des images dEpinal ayant nourri longtemps les discours antisémites. La présentation dune communauté riche, urbanisée, aux postes les plus importants dune nation -politiques, économiques, culturels- apparaît comme caricaturale. Le recours à des images parfois violentes et brutales peut aussi discréditer le travail de lhistorien et lapparenter à un essai polémique.
Mais si lon fait abstraction de cette thèse apocalyptique et qui nest dailleurs en rien nouvelle -le sociologue Georges Friedmann, que Wasserstein cite, prophétisait déjà en 1964 la fin des Juifs dEurope-, Vanishing diaspora est une intéressante Histoire des Juifs dEurope depuis 1945.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 09/11/2000 ) Imprimer | | |
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