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Les hommes qui arpentaient lentement
Thomas Pynchon   Mason & Dixon
Seuil - Fiction et cie 2001 /  27.48 € - 179.99 ffr. / 767 pages
ISBN : 2-02-032792-9
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Milieu du XVIIIe siècle. Charles Mason, l’astronome, et Jeremiah Dixon, le géomètre, sont mandatés par la Royal Society de Londres afin de minuter le passage de Vénus. Puis de tracer une ligne démarquant le Maryland de la Pennsylvanie. Une bande rectiligne de huit mètres de large, qui deviendra bientôt la frontière distinguant le Nord et le Sud de l’Amérique, celle séparant la liberté de l’esclavagisme. Un véritable parcours du combattant quand on sait que pullulent comploteurs et espions, sectaires religieux et Grands Hommes américains, animaux de tous crins et autres créatures surnaturelles. Comme dans tout roman picaresque qui se respecte, nos deux héros que tout oppose, mis à part leur engouement pour la Connaissance, vont de Carybe en Scylla, s’inquiétant ici des dangers du racisme, défendant là des conceptions d’ordre écologique. Ils rencontreront Washington, Franklin, Johnson, fréquenteront moult tavernes, perdront le compte exact des jours. Bref, tenteront de cheminer tant bien que mal dans un monde sur la voie de la civilisation et en proie à toutes les contradictions.

Encore cette fresque encyclopédique est-elle à recevoir au deuxième degré pour autant qu’il s’agit là d’un récit de récit. En effet, l’histoire des deux savants anglais (personnages historiques ayant au demeurant réellement existé) est racontée par leur ami de voyage, le Révérend Wicks Cherrycoke -que les lecteurs de Pynchon connaissent pour l’avoir déjà croisé aux détours de ses ouvrages précédents- à ses neveux, Pitt et Pline, à la fin de l’année 1786. L’écrivain visionnaire s’amuse, comme l’un des enfants auxquels Cherrycoke raconte l’histoire, à mélanger majuscules (disséminées à la mode du XVIIIe siècle) et archaïsmes langagiers, multipliant dans ses pages fort érudites des effets d’humour. Manière de ne pas trop se prendre au sérieux qui rappelle combien dans l’histoire les vérités scientifiques et philosophiques sont dépendantes des passions d’individus apparemment irrationnels et parfois peu sérieux ! A l’instar d’un Dante, d’un Cervantès ou d’un Borges, Thomas Pynchon aime à souligner, dans ce cinquième roman, les failles de l’univers sur lesquels l’humanité a toujours construit les pics de sa fragile connaissance.

La vraie ligne qui importe d’ailleurs ici ressort moins d’une borne physique visible (de latitude 39°43’17’’) que d’une limite filigranée en constante mouvance, sur le modèle de la ligne d’écriture, qui s’enfle de surabondance en surabondance : celle peut-être qui sépare en reliant, et relie en séparant la réalité et l’illusion. Le Canard mécanique aboie et l’Homme- Castor va de l’avant ! Trait humoristique supplémentaire qui n’a pas peu d’importance sociologique, la nouvelle Amérique (encore colonie anglaise) est décrite par deux Anglais chargés d’officialiser sur place une frontière fondatrice ad vitam aeternam ! Une Amérique donc qui, à l’aube de sa fondation déjà ne s’appartient plus elle-même. Après L’homme qui apprenait lentement (Seuil, 1984), l’auteur nous offre ici une somme réjouissante qu’on pourrait aussi bien baptiser : Les hommes qui arpentaient lentement…

Aussi mystérieux que ses opus, cet auteur américain dont on était sans nouvelles depuis Vineland (1990), a déclenché un raz de marée éditorial lors de la publication en 1997 de l’épopée Mason & Dixon. Une fois de plus, les énormes phrases à la structure rhizomique de ce romancier au grand large charrient un inextinguible chapelet de mots, qui cinglent de tous côtés le lecteur en quête d’une terre où aborder. Mais les rives côtière du Sens n’apparaissent que pour mieux se dérober, la réalité des sens ne coïncidant presque jamais avec la réalité qu’appréhendent le langage et la raison. Sans cesse s’enrichit le motif d’une odyssée cartographique où se confondent âme et corps, hommes et bêtes, manifestations paranormales et calculs scientifiques. Approche en ligne de fuite quasi chimique des êtres et des choses, respectueuse du principe qui veut que les éléments créés se donnent en perpétuelle transformation. Car, écrit le romancier, "même les phantasmes jouissent parfois d’une existence privée – ombreuse, susurrante, voilée pour être dévoilée, éternellement à l’abri des insultes du Temps."

Livre-univers charrié par les tourbillons de l’espace-temps, Mason & Dixon est un bain de jouvence ante- ou post-rationnel qui fait tout simplement rêver à un voyage dans la pluralité des mondes "compossibles" que décrivait le philosophe Leibniz, dans sa Monadologie comme dans ses Essais de Théodicée. Pynchonautes, vous voilà nantis de munitions pour dix ans, en attendant la prochaine salve du Maître !


Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 23/02/2001 )
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