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Aux sources spirituelles de l’école biblique | | | Bernard Montagnes Marie-Joseph Lagrange - Une biographie critique Cerf - Histoire 2005 / 49 € - 320.95 ffr. / 625 pages ISBN : 2-204-07228-1 FORMAT : 14,5x23,5 cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Marie-Joseph Lagrange (1855-1938) aura laissé à lEglise un legs extrêmement riche dinstitutions scientifiques propres à relever les défis de lhistoire méthodique et de la méthode historique moderne, la «question biblique» pour reprendre une expression du temps (Mgr dHulst). Il sagissait, selon ses propres termes, de «constater la transcendance du fait divin» par le biais des études historiques. De lEcole biblique fondée à Jérusalem en 1890 à la collection des Etudes bibliques, en passant par la Revue Biblique, il est comme savant autant que comme homme dEglise intervenu dans un débat ample, fondateur dune certaine modernité, celui de lhistoricité de la Bible au risque de sa désacralisation.
Pour étudier ce débat aux allures de combat (et le parallèle avec la carrière militaire revient souvent sous la plume du savant dominicain), le père Bernard Montagnes, spécialiste reconnu du père Lagrange, entraîne ses lecteurs dans une biographie originale, tant elle mélange la vie de lhomme et celle de linstitution religieuse et culturelle quil fonda à Jérusalem. Entre histoire institutionnelle de lEglise et biographie critique dun savant, une étude en tous les cas précieuse pour une question lancinante dans lhistoriographie religieuse.
Létude démarre, classiquement, par la formation du père Lagrange, mais très rapidement, le lecteur est entraîné, dans les pas du savant, à Jérusalem. La création difficile, laborieuse, et avec des moyens qui confinent à la pauvreté monacale de luvre de Saint Etienne, dont le statut de couvent et de studium dominicain est plus rapidement acquis que démontré, témoigne de lopiniâtreté de Lagrange et de sa pluridisciplinarité (voire de ses talents dadministrateur, de facto). Plus ou moins ignorée par son ordre (il faut attendre laprès Première Guerre mondiale pour que linstitution commence à être considérée) et reconnue tardivement (en 1920) par lEtat français, lEcole biblique, future Ecole française darchéologie, nen est pas moins une fondation à linfluence majeure, sur le modèle épistémologique de lEPHE. Et, dans une certaine mesure, un prolongement intellectuel de Lagrange, quasiment son incarnation institutionnelle. Une fondation toutefois en butte à la suspicion (de la part de divers ordres comme les assomptionnistes, méfiants à légard des novations intellectuelles), aux jalousies (de la part des franciscains de Terre Sainte, qui croient leur rôle traditionnel menacé), à la concurrence (de la part de lécole biblique romaine, tenue par les jésuites) et aux querelles, internes (les difficultés de la succession du père Lagrange) ou du siècle (notamment pendant la guerre, quand les Ottomans expulsent les frères). Cest un extraordinaire paysage institutionnel qui est dépeint par B. Montagnes, un paysage à la fois romain et oriental qui met en lumière la vie matérielle et spirituelle de lEcole biblique
et les soucis de son fondateur.
Car cet adepte dune «lecture croyante» se heurte toutefois assez tôt aux autorités de lEglise, et essuie sa première censure dès 1891. Il est vrai quavec un instrument de diffusion comme la Revue Biblique, le père Lagrange est à surveiller en ces temps de débats. Et la surveillance est pointilleuse, peut être même menaçante : le père Lagrange se pense persécuté par les jésuites. De fait, lexposé de sa méthode exégétique, lors dune série de conférences prononcées à Toulouse en 1902 (et publié dès 1903 sous le titre La Méthode historique) fonde sa réputation, pour le meilleur et pour le pire, celle du tenant dune «école large» quil ne revendique pas mais quil assume. Attaqué par certains de ses pairs, son autorité est parallèlement reconnue par linstitution : il est nommé consulteur de la commission biblique en 1903. Cette ambiguïté se prolonge durant une grande partie de sa carrière scientifique, notamment avec lavènement de Pie X puis de Benoît XV. Car si Léon XIII a pu sembler ouvert à une certaine conception «historicisante», ses successeurs peu suspects daudace intellectuelle - sopposent nettement, avec toutes les armes dont le trône de Pierre dispose, à la nébuleuse «moderniste», considérée comme un (autre) bloc. Suspect pour ses travaux exégétiques sur la Genèse, Lagrange se voit à la fois remis en cause et interdit de sexpliquer. Malgré sa soumission manifeste (il signe le serment antimoderniste de 1910), il traverse, comme nombre dintellectuels alors, un désert. Seule la Grande Guerre, et de nouvelles urgences plus dramatiques relativisent lâpreté des débats, des «élucubrations» (p.368) aux dires de Lagrange. Le tableau en tous les cas magistral dune «fin de siècle» intellectuelle.
La crise moderniste est, depuis quelques années et dans la foulée des travaux dEmile Poulat, au cur de nombreuses recherches en histoire religieuse, via des biographies de grandes qualités des acteurs de cet épisode. Après Mgr Duchesne (B. Waché), après Mgr Lacroix (C. Sorrel), après Mgr Mignot (L-P Sardella), cette biographie du père Lagrange par Bernard Montagnes complète un ensemble déjà précieux, qui témoigne de la dimension historique du sujet comme du débat, certainement lun des défis les plus importants pour la religiosité contemporaine, au même titre que «laffaire» Theillard quelques décennies plus tard.
Louvrage est intéressant à plusieurs titres, comme biographie intellectuelle tout dabord, mais également comme étude dhistoire institutionnelle et enfin comme collection de sources. En effet, chaque chapitre, assez court, sachève par une annexe composée de documents divers (lettres, rapports
) qui fourniront au lecteur curieux la structure de lensemble. Si la jeunesse et les années de formation sont passées très rapidement (trop sans doute), lévolution intellectuelle du personnage, le cheminement de sa pensée et de son action au prisme des débats du temps sont examinés avec minutie. Une relecture opportune dune crise à laune dun acteur «modéré».
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 02/10/2005 ) Imprimer
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