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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Eric Fottorino Caresse de rouge Gallimard - Folio 2005 / 5.30 € - 34.72 ffr. / 197 pages ISBN : 2-07-031810-9 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en février 2004 (Gallimard). Imprimer
Ce roman est une prise dotage sans demande de rançon. Eric Fottorino montre dune plume non seulement innocente mais superbe le dangereux pouvoir de lécriture. Une enivrante puissance
Trois lignes lues suffisent au lecteur pour adopter lauteur, le narrateur, les personnages, et cette histoire, le récit littéralement chavirant dune paternité quon dira totale.
Félix, assureur estimé, nous embarque dans lhistoire dun papa fou de son fils. Le petit Colin, enfant en bas âge, est lobjet de tout son amour, de ses tendresses, de son attention. Fils dun père en fuite et dune mère désinvolte, abandonné sur contrat par Marie, qui lui a fait un enfant et sen est allé, Félix focalise son existence sur le petit être, au point dincarner pour lui le père et la mère à la fois. Caresse de rouge, cest le nom de ce brillant à lèvres passé au visage pour créer lillusion dune maternité : Félix se travestit pour offrir à Colin les caresses dune maman.
On plonge sans retenue dans lévocation de cette histoire damour, incrédule au départ, puis finalement convaincu. Sans doute parce que cet engagement excessif dans la mission parentale apparaît comme symbolique, comme un appel métaphorique à des paternités plus maternelles, en somme
Comme Félix, on nécoute pas vraiment les avertissements de la maîtresse décole, trouvant dangereux un pareil débordement damour et cette équivoque confusion des genres
On ne lécoute pas parce que cette paternité revêt une perfection presque platonicienne, idéelle, idéale. Félix donne le monde à son fils : les métros aériens, un pont, la danse gracile dun bateau de bois sur le bassin du Luxembourg, les framboises de lépicier du coin, les jouets dans les paquets de céréales
On se laisse porter par la légèreté toute simple et évidente de cet amour là, sa gratuité. On admire, piégé, convaincu que le travestissement sinscrit dans la suite logique de cette dévotion paternelle
Mais cette belle histoire est aussi un malheur car cest au passé que Félix nous la remémore. Colin est mort, fauché à trois ans et demi par un bolide sur un trottoir parisien. Alors, à la beauté du père sajoute celle, tragique et mélancolique, de lhomme seul, orphelin de son fils
On pense à quelques chefs-duvre cinématographiques qui ont su, eux aussi, suggérer avec douceur et justesse la folle intensité de ces pertes-là : La Chambre du fils de Nanni Moretti, Sous le sable de François Ozon
«Pour moi, le mercredi est devenu un jour absurde», confesse Félix (p.43). Caresse de rouge est alors aussi le récit dune existence vidée de sa raison première. Félix est seul, emmuré, abruti par les heures et les jours passés sans son fils. Et le lecteur boira jusquà la lie ce mélange douceâtre fait de souvenirs heureux et de lhorreur du présent, le deuil et le bon vieux temps, le choc thermique de la chaleureuse entente entre les deux individus et de lesseulement existentiel dun homme qui nest plus un père
Jusquà la lie
Car cette histoire malheureuse est aussi une histoire insoutenable. On en veut alors à lauteur de ne pas nous avoir épargné ça
Car quatre lignes suffisent pour détester Eric Fottorino, écrivain tout puissant
Le détester et lui faire, aussi, une sincère révérence.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 13/09/2005 ) Imprimer
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