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De la condition écrivaine, de sa puissance, de ses écueils | | | Paul Auster La Nuit de l'oracle Actes Sud - Babel 2006 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 236 pages ISBN : 2-7427-5833-X FORMAT : 11x18 cm
Première publication en avril 2005 (Actes Sud). Imprimer
Paul Auster livre avec La Nuit de loracle lun de ces romans symptomatiques dun questionnement apparemment très contemporain et très partagé chez les écrivains, celui de lécriture, de sa difficulté comme de sa magie. On ne compte plus les auteurs, français, ibériques, anglo-saxons, qui mettent en scène, comme personnages centraux de leurs uvres, le roman et son auteur, ce soi à peine déguisé, ou se lancent dans des romans/essais sur lécriture
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Au commencement était le verbe
mais noublions pas le néant qui lannonce, ce gouffre vertigineux qui retient les plumes, déroute les âmes pourtant volontaires, signe dune quête. Si lécriture est création, il manque aux écrivains une essence divine rendant lentreprise moins humaine, plus pure et, parce que céleste, facile.
Ce questionnement traduit-il une crise contemporaine de lécrit ? A ne plus savoir quoi raconter, les auteurs se rabattraient sur le nombril de leur propre création, masquant la panne par une description méthodique du moteur ? Ou, au contraire, sagit-il dun renouveau des lettres, par lequel, luvre et son créateur, indissociés jusque dans la narration, formeraient un héros dun type nouveau ?... Doit-on y voir enfin lun des signes de lavènement annoncé et décrié depuis les comptoirs et dans les éditoriaux, dun nouvel individualisme, encore grossier, difficile à saisir parce que, comme tout individualisme, tendant à la fois au particulier et à luniversel ?... Le roman, on ne sait trop pourquoi, dit de plus en plus «je»
Quimporte, pourvu quon ait livresse ! Et en loccurrence, Paul Auster nous enivre. La Nuit de loracle, cest un roman du genre de ceux quon dévore tout en redoutant la dernière bouchée, de ceux qui font rater les stations de métro et les arrêts de bus, et quelques heures de sommeil !
Ici, le narrateur est un romancier new-yorkais (!), Sidney Orr, qui, sortant dune maladie combattue avec sa femme Grace, se remet à lécriture, dabord avec peine, puis avec addiction. La plume se met à glisser facilement à partir du moment ou notre valétudinaire tombe sur une droguerie tenue par un asiatique folklorique et y trouve un carnet bleu, dorigine portugaise. «Je mis une cartouche neuve dans mon stylo, ouvris le carnet à la première page et contemplai la première ligne. Je navais aucune idée de la façon de commencer. Le but de lexercice était moins décrire quelque chose de particulier que de me prouver à moi-même que javais encore la capacité décrire.» (p.21)
Sur ce support, il entame son nouveau roman, lhistoire de Nick Bowen, un éditeur quittant femme et emploi sur un coup de tête
Mises en abîme en cascade, allers et retours dune fiction inventée par lauteur dans le roman, à cette fiction inventée par Paul Auster pour ce roman-ci, sans oublier La Nuit de lOracle, récit inédit tombée dans les mains de léditeur fantasmé, uvre oubliée dun grand auteur du début du XXe siècle. Vertigineux donc, et loccasion aussi dune esquisse de la condition écrivaine : le mal décrire certes, auquel succèdent dimpressionnantes fièvres littéraires dignes de métempsychoses, mais aussi les sociabilités littéraires (le monde de lédition, la relation avec un mentor, image tutélaire dun écrivain vieilli, ici dénommé Trause), les difficultés financières malgré les best-sellers, fuites dargent colmatées par le recours facile à lécriture de scénarios
Des notes de bas de pages fournies vont même jusquà expliquer au lecteur les tenants de luvre née de lécriture. Tout y passe et cest un plaisir !
Dautant quune intrigue plus proprement romanesque lie cet ensemble. Un secret sépare Sid et Grace, impliquant le passé de celle-ci et Trause, justement. Il y est toujours question de création
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 20/02/2006 ) Imprimer
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