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Dossier Marcel Aymé
Un entretien avec Jacques Laurent
Ce que lisait Marcel Aymé
Sur la justice...
Les Silences de Marcel Aymé
Marcel de Montmartre
Bibliographie de Marcel Aymé

Ce que lisait Marcel Aymé
Ce que lisait Marcel Aymé - par Michel Lécureur

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Il est toujours très excitant pour un chercheur de pouvoir pénétrer dans la bibliothèque de son auteur préféré, et s'il en est empêché, il est toujours profondément déçu. C'est ce qui m'est arrivé à plusieurs reprises au domicile que Marcel Aymé occupa durant les dix dernières années de sa vie, à Montmartre. Sa veuve me permit, en effet, d'entrer en différentes occasions dans le bureau-bibliothèque de son mari, sans pour autant me laisser consulter les nombreux volumes sur les rayonnages. Elle avait voulu tout conserver dans l'état où l'avait laissé le romancier à sa mort en 1967. Il ne fallait toucher à rien, pour éviter tout désordre. J'eus beau promettre et jurer que j'étais prêt à remettre systématiquement en place les livres que j'ouvrirais, si elle me laissait faire ; rien n'y fit. J'espérais y trouver des brouillons, des inédits, des lettres, des articles et, pourquoi pas, des confidences. Or, il ne se passa rien. Je n'obtins jamais la possibilité d'ouvrir, avec émotion et respect, les ouvrages qu'il avait feuilletés ou étudiés attentivement. Le gardien du temple joua complètement son rôle jusqu'à la fin de sa vie, et il me fallut attendre celle-ci pour que Françoise, qui occupe maintenant l'appartement, me donne enfin l'autorisation que je souhaitais depuis si longtemps.

Outre un bureau, dont le tiroir renferme le début d'un roman inédit, Denise, - publié aujourd'hui dans le Cahier Marcel Aymé, n° 13-14 -, les murs de la pièce sont couverts, dans leur moitié supérieure, de rayonnages impeccablement rangés. La partie inférieure, elle, est constituée de placards à portes pleines. Ceux-ci n'ont rien apporté, car ils renferment des documents privés, auxquels je n'ai pu accéder. Mais avec les étagères supérieures, quel régal ! Je n'ai pas été surpris, tout d'abord, d'y trouver toute une collection de volumes de La Pléiade, comprenant les plus grands classiques de notre littérature : Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Balzac, Chateaubriand et Rimbaud. Alors qu'il a souvent déclaré le contraire aux journalistes, Marcel Aymé, qui ne détestait pas la mystification, s'est toujours nourri des auteurs importants, et en particulier, de ceux du XVIIe siècle. Il plaçait Molière au premier rang, sans pour autant rejeter les tragiques.

La connaissance qu'il avait de leur poésie le conduisit même, dans Uranus, à une parodie de Racine, puisque Léopold, le cabaretier, finit par cultiver l'alexandrin et gagner le panthéon des créateurs grâce à ses vers:
"Passez-moi Astyanax, on va filer en douce,
Attendons pas d'avoir les poulets à nos trousses".

L'admiration qu'il portait aux auteurs français du passé, n'écartait Marcel Aymé ni de la littérature de l'Antiquité, ni de celle de ses contemporains, puisqu'il possédait, toujours dans La Pléiade, aussi bien, les Oeuvres complètes de Platon que Les Propos d'Alain, le Théâtre de Claudel et le Journal 1939-1949 de Gide. Celui-ci a dû être lu et relu de nombreuses fois, car la tranche est aujourd'hui bien usagée. Le signet était encore à la page 635, c'est-à-dire au troisième chapitre des Souvenirs de la Cour d'assises. Marcel Aymé, auteur de La Tête des autres, et de plusieurs articles contre la justice, a probablement longuement médité le témoignage d'André Gide. Il y retrouvait, en effet, ses propres conclusions au sujet de la fragilité des témoignages, de la partialité des juges et de la part d'irrationnel qui pèsent sur tout jugement. Quand on pense que Marcel Aymé, présenté à André Gide dans les années cinquante, n'a rien trouvé à lui dire, et que le second a cru pouvoir en déduire qu'il n'appréciait pas son oeuvre, on est pris de vertige !

L'extrême réserve de Marcel Aymé l'a privé de certaines amitiés, et pourtant... que de dédicaces d'écrivains talentueux et célèbres dans cette bibliothèque, de 1926 à 1967 ! Parmi ses admirateurs, on peut citer : Jules Supervielle, Eugène Dabit - qui lui envoie L'île,en 1934, avec ces mots : "Un de mes bons souvenirs de cette année aura été enfin notre rencontre, Marcel Aymé. Avec amitié". Ajoutons aussi Drieu La Rochelle, Emmanuel Berl, Jean Cocteau, Colette (qui lui adresse son Toutounier, en 1939, avec cette charmante dédicace : "Pour Marcel Aymé, trois juments pies pour atteler en troïka et mon sentiment amical"). Léon-Paul Fargue, Kléber Haedens, Marcel Achard, Montherlant, Marcel Pagnol, Paul Morand, Philippe Hériat, Félicien Marceau, Maurice Bardèche, Ionesco, Jean Blanzat, François Billetdoux, Diamant-Berger, Jacques Isorni, Pierre Daninos, Lucien Rebatet, Louis Pauwels, Mouloudji, Silvia Monfort, Hervé Bazin, lui ont aussi dédié leurs oeuvres. Bazin lui fait adresser, en 1950, La mort du petit cheval, en l'assurant de son admiration, et, "s'il le veut bien", de son amitié. En 1959, Dürrenmatt charge expressément son traducteur de lui offrir un exemplaire de sa traduction de La Visite de la vieille dame. En 1963, Georges Simenon profite de la publication de ses Anneaux de Bicêtre pour lui écrire qu'il l'admire et le considère comme "le plus grand écrivain français d'aujourd'hui".

On trouve aussi des noms plus ou moins inattendus dans cette bibliothèque : Léon Blum, Louis Aragon, François Mauriac, Marcel Jouhandeau, Raymond Queneau, Jean Paulhan, André Malraux et Louise de Vilmorin. Si Léon Blum lui envoie son hommage, avec ses Souvenirs sur l'Affaire (Dreyfus), en 1935, Louis Aragon se contente, l'année suivante, d'écrire "· Marcel Aymé" sur ses Beaux quartiers. Il faut rappeler que l'auteur de La Jument verte a signé un manifeste de droite à la fin de 1935, et qu'il s'en est suivi une vive polémique, en particulier avec André Wurmser, dans la revue Commune, que dirigeait Aragon. C'est en 1951 que François Mauriac lui fait parvenir son Feu sur la terre, en l'assurant de sa cordialité. Un an après, avec La Tête des autres, les relations entre les deux hommes deviendront conflictuelles... et lorsque, beaucoup plus tard, Mauriac citera le nom de Marcel Aymé comme candidat possible à l'Académie française, celui-ci refusera poliment... mais fermement.

Marcel Jouhandeau, qui a si vivement critiqué la bourgeoisie de Guéret, se reconnaissait dans la peinture acerbe que Marcel Aymé a donnée de ses concitoyens de Dole. L'humour de Raymond Queneau ne pouvait qu'être en phase avec celui de Marcel Aymé. C'est pourquoi l'on trouve beaucoup d'oeuvres du premier dans la bibliothèque du second : Les derniers jours, Chaîne et chien, Un rude hiver, Pierrot mon ami et Bucoliques. · chaque envoi, Queneau exprime son admiration et sa sympathie. Avec ses Bucoliques, il laisse même à penser que leurs relations sont devenues familières, car il salue le "nouveau poète Marcel Aymé (jeune homme, c'est très bien)", et signe : "Un vieux de la vieille. Queneau (avec une grande barbe)". Il est probable que les deux hommes se voyaient chez Gallimard dont ils devaient fréquenter les "coquetèles". Marcel Aymé disait les détester, mais il s'y rendait néanmoins... C'est également chez l'éditeur de la rue Sébastien Bottin qu'il a fait la connaissance de Jean Paulhan, avec lequel il a entretenu une correspondance quand il ne le rencontrait pas dans son bureau. En lui adressant ses Fleurs de Tarbes, Paulhan s'est amusé à imaginer le petit dialogue suivant :
"-Et Homère ?
-Il travaille à un nouveau chant de l'Odyssée.
-Encore !
(Propos grecs recueillis par le professeur Théodoulis)".

Quant à André Malraux et Louise de Vilmorin, on sait maintenant, grâce à Jean Bothorel, combien ils ont été proches de Marcel Aymé à la fin de sa vie. Ainsi s'explique cette très belle dédicace de L'heure déliciôse : "· Marcel qui est Aymé et que j'aime. Son amie. Louise". Les noms de beaucoup d'amis de l'auteur du Passe-Muraille figurent naturellement dans sa bibliothèque : Jean Prévost, Jean Guirec, Pierre Véry, Emmanuel Bove, Maurice de Vlaminck, Pierre Mac Orlan, Maurice Fombeure, Louis Daquin, Georges Papazoff, Pierre Bost, Louis-Ferdinand Céline, Jean Anouilh, Antoine Blondin, Roger Nimier et Paul Guimard.

Céline, le génial imprécateur, n'excellait pas dans l'art de la dédicace. En 1957, alors que Marcel Aymé a tout fait pour l'aider à se réinsérer en France, il se contente de la formule "· Marcel" pour D'un château l'autre. Mais certains sont plus prolixes. Roger Nimier donne dans la familiarité en inscrivant sur Amour et néant : "Marcel Aymé, si t'y comprends rien, c'est que t'as pas l'intelligence pour. Fraternité. Géger". Antoine Blondin reste plus respectueux en lui déclarant que ses Enfants du bon dieu ont été écrits "par surprise et bien plus à coeur entrouvert qu'à tête reposée". Il le remercie "de tout ce qu'il a fait" pour lui et ajoute que son "admiration ... ne trouve plus ses mots". Rappelons que Marcel Aymé passait discrètement régler les dettes de Blondin dans ses bistrots préférés et qu'il a toujours été un critique très favorable à son égard. Un envoi de Jean Anouilh sur L'Alouette précise que, en 1953, ils n'en étaient qu'au début de leurs relations. On y lit, en effet, "Pour Marcel Aymé dont je voudrais bien être le La Boétie. Si c'est vrai qu'au milieu de l'âge, une amitié fraternelle puisse pousser... En le remerciant de beaucoup de joies, de toutes façons". Paul Guimard, lui, a toujours été très discret au sujet de son amitié pour Marcel Aymé. On trouve néanmoins dans la bibliothèque de celui-ci un exemplaire des Choses de la vie avec ces lignes : "Cher Marcel, Je ne me décide pas à écrire un livre sans une phrase de toi pour commencer ; il est vrai que ça fait gagner une page et ces Choses de la vie en avaient grand besoin. Je t'embrasse".

Ceux qui se sont senti une parenté d'esprit avec l'auteur de La Vouivre n'ont pas manqué de lui adresser leurs ouvrages. En1959, le jeune Bernard Clavel lui a fait part de son admiration en lui adressant L'Espagnol dans lequel il a, dit-il, "tenté de mettre un peu d'air du Jura". En 1963, Alphonse Boudard lui dédicace sa Cerise, "murie à l'ombre"...

Outre les Mémoires de Saint Simon, l'Histoire de France de Michelet, la Légende dorée de Jacques de Voragine et quelques dictionnaires, dont le Littré, la bibliothèque de Marcel Aymé révèle quelques textes oubliés. Un volume publié par Laffont, en 1960, rappelle que Marcel Aymé est l'auteur de La Femme seule, l'un des sketches du film La Française et l'amour (1960). D'autre part, on s'aperçoit qu'il a participé, en 1949, à un recueil en hommage au romancier Maurice Betz, et qu'il a accepté de célébrer, en 1962, la mémoire de Jean Flory, qui fut longtemps secrétaire général de l'Atelier. Passionnante bibliothèque, que celle de Marcel Aymé, car elle révèle à la fois un homme cultivé, un humaniste épris d'équité et un écrivain apprécié de ses confrères.
Au-delà des conventions, certaines dédicaces ne trompent pas.


Michel Lécureur président de la la "Société des Amis de Marcel Aymé"
( Mis en ligne le 03/11/1998 )
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