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Premiers pas d'un écrivain | | | Rencontre avec Laurent Gaudé
Laurent Gaudé a publié plusieurs pièces de théâtre aux éditions Actes Sud : Combats de possédés, Onysos le furieux, Pluie de cendres, Cendres sur les mains et Le Tigre bleu de l'Euphrate ainsi que deux romans, Cris (2000) et La Mort du roi Tsongor. Imprimer
Comment naît un écrivain ? Difficile question. Un peu naïve aussi peut-être. Comme beaucoup de jeunes gens, Laurent Gaudé se lance dans des études de lettres, il prépare même un temps lagrégation. Au cours de ces années studieuses, létudiant ne fait pas preuve de beaucoup denthousiasme, mais il en profite pour parfaire sa culture commencée au lycée. Lesprit universitaire ne lui arrache que des soupirs maussades. Il nest pas fait pour lenseignement. Cest alors que ce Parisien pure souche, évoluant toujours plus ou moins entre Montparnasse où il habite et le Quartier Latin, se lance dans lécriture, et là, tout séclaire. Nous sommes en 1996. Laurent Gaudé rédige alors ses premiers «vrais» textes. Ils peuvent appartenir au genre théâtral, comme Pluie de cendres, ou innover, comme Onysos le furieux, audacieux monologue épique. Il attire bientôt lattention de Lucien et Micheline Attoun à Théâtre Ouvert, un organisme situé non loin de Pigalle et dont la mission (il dépend du Ministère de la Culture) est de découvrir les formes décriture contemporaine. Tout en faisant éditer ses pièces en tapuscrit, il envoie des textes de petit format pour lancienne revue théâtrale «Du Théâtre, la revue» des éditions Actes Sud. Sensible à son écriture, Claire David, la responsable théâtre, sempresse alors de les publier, décidant de faire du jeune écrivain un auteur de la prestigieuse maison.
Enfin, au printemps 2001, Laurent Gaudé, qui a vu auparavant venir le temps des premières adaptations théâtrales (celle, notamment, de Yannis Kokkos à Strasbourg), accepte de se prêter à lexercice de lautoportrait décrivain. Cela se passe au petit théâtre de lOdéon. Une salle en longueur, comme étirée vers un fond dobscurité. Face à nous, lécrivain est assis à droite de lestrade. A sa gauche, trois acteurs (sans doute des amis) sapprêtent à lire ses textes. On nest plus dans la vie réelle, là où les voitures circulent, où les feux passent du vert au rouge, mais on nest pas non plus au théâtre. Cest plutôt une sorte de cérémonie. A tour de rôle chacun lit un extrait. Cette séance est la première dune série qui en comportera quatre. Ce jour-là Laurent Gaudé nous parle de «son Antiquité» : le rapport de son écriture aux dramaturges de la Grèce antique, comme Eschyle et Euripide, quil apprécie pour les voix, la manière heurtée du rythme ; sa fascination pour la civilisation antique ; son goût pour ces mots à la consonance étrange et qui ne figurent probablement pas tous dans le dictionnaire.
Je nexagère en rien si je dis avoir eu ce soir-là la révélation dun écrivain. Aussitôt je mempresse de le lire, et commence par une pièce de théâtre, Onysos le furieux, qui savère être la geste dun héros épique totalement inventé. Comme il devait me lapprendre bientôt, il a écrit ce texte en dix jours, en 1996, au début du printemps. Pur moment de grâce, comme les écrivains en connaissent parfois. Quand je linterroge sur la Grèce, il me répond avec un sourire quil était nul en grec, que les versions étaient un calvaire, mais quil a par contre des souvenirs très précis et très vifs concernant la langue, la mythologie, de même que la civilisation. Mais il ny a pas seulement la Grèce, Laurent Gaudé évoque aussi les contes africains. Et de citer La Geste de Segu, les Contes bleus, tout un univers de littérature africaine édité aux Belles Lettres. Finalement, tout ce qui touche à loralité dans la nature des textes le concerne. «Sil y a quelque chose qui sest perdu aujourdhui, cest bien loralité», glisse t-il après avoir évoqué lIliade.
Sa démarche, sil fallait absolument la caractériser, serait plutôt intuitive. Lécrivain retient des bribes, parfois un monologue entier. Lintellectualisme ne lintéresse guère. En tant que lecteur, il naime pas beaucoup lautofiction, lécriture minimaliste, même sil apprécie chez Duras, dont il admire La Douleur, cette tendance de la littérature actuelle. Lorsquon lui dit, avec tous les ménagements possibles, quil est un écrivain inactuel, il se récrie doucement. La méditation de lécrivain, dit-il, oscille entre une inquiétude actuelle et des questions atemporelles. Il aime les paroles de ces femmes qui ont pour noms Andromaque, Hécube ou Médée. Il cite le titre dun essai de Nicole Loraux, La Voix endeuillée. Pour cet écrivain dune trentaine dannées, il ne sagit rien moins que de ressourcer sa parole à la veine immémoriale de la plainte tragique. Telle est si lon veut sa poétique. Pluie de cendres, il la écrit pendant la guerre de Yougoslavie. Le livre décrit la situation de gens vivant dans une ville assiégée. « Pour moi, écrire cest prêter sa voix à lAfghanistan, à lAlgérie. Je vais au devant des choses qui ne sont pas miennes. Cest évidemment quelque chose qui est plus fort dans le théâtre : ce mouvement deffacement face à une parole qui est autre. »
Cris, publié en mars dernier chez Actes Sud, est un premier roman. Sans aucune documentation, mais au moyen de cette « sympathie » où le réel devient indiscernable de limaginaire, lécrivain sintéresse alors au chaos des tranchées, à lenfer des barbus de la guerre de 14. Dans ce texte fait de monologues, il dit sêtre inspiré de la construction de Tandis que jagonise de Faulkner. Bref, Laurent Gaudé appartient encore à ce temps irremplaçable, ces années où le pas manque encore sans doute un peu dassurance, où lécrivain se cherche, est encore à létat naissant. Mais cest certain, il a une voix, comme les écrivains quil aime (Duras, Koltès...) et cette voix, cest sûr aussi, est bien à lui. Si « le temps de lexpérience », comme disait Edith Wharton, nest peut-être pas encore venu, on le sent cependant assez proche. Et bien entendu on ne lui donne aucun conseil, on ne lui souhaite rien. Simplement de continuer.
Thomas Regnier ( Mis en ligne le 07/11/2002 ) Imprimer
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Ailleurs sur le web :Lire un extrait de La mort du roi Tsongor sur le site des éditions Actes Sud | | |