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Une anthropologie de l’imaginaire | | | Le Moyen Age mis en lumière - Manuscrits enluminés des bibliothèques de France Fayard 2002 / / 400 pages ISBN : 2213613974
Sous la direction de Jacques Dalarun
80 jusquau 31 janvier, 100 ensuite. Imprimer
Somptueux, grandiose, admirable... les mots sont faibles pour qualifier un livre comme Le Moyen Age en lumière, fruit dune collaboration entre lIRHT (Institut de Recherche et dHistoire des Textes, organe du CNRS), la Direction du Livre du ministère de la Culture, les Editions Nouveau Monde et les Editions Fayard ! Ce que le lecteur y découvre pour la première fois, ce sont les manuscrits à enluminures du Moyen Age conservés dans les bibliothèques nationales de France. Sur les quelque 300 000 images auxquelles on évalue le fond, 80 000 ont été numérisées, et 500 à peu près figurent dans le présent ouvrage. Des images retenues pour leur qualité esthétique comme pour leur représentativité vis-à-vis des différentes thématiques quont choisi daborder ici tour à tour les chercheurs.
Cest un magnifique parcours illustré du Moyen Age, cest-à-dire des siècles obscurs aux balbutiements renaissants du quattrocento, qui nous est proposé ici. La maquette comme les textes des spécialistes sont impeccables.
La représentation de l'espace ; le rapport à l'animalité comme à la transcendance ; des notions comme le travail, le pouvoir et le droit ; la transmission du savoir : tels sont les thèmes qu'aborde le livre en les mettant toujours en rapport avec les images que l'homme médiéval dessine ou peint. Cest ce dont nous parlent ici ces étonnants médiévistes qui, sil leur arrive de citer des maîtres comme Bloch ou Le Goff, le font plutôt par courtoisie intellectuelle, car ils en savent peut-être aussi long queux.
Sil est un cliché que ce livre réduit à néant, cest celui dun Moyen age qui serait le temps de lobscurantisme et dont on serait définitivement sorti à la Renaissance grâce, notamment, au retour à lantique. Une telle thèse est à ce point simpliste quelle en devient fausse. En réalité, il y a un continuum - certains historiens ont été jusquà parler de renaissances successives - qui fait que lon passe insensiblement du Moyen Age à cette Renaissance où daucuns voient la grande rupture et dont on fait habituellement partir notre modernité. Quelques exemples : On apprendra, au cas où on lignorait, que lhomme médiéval, loin de se la représenter plate, avait compris, daccord en cela avec les astronomes grecs, que la terre était ronde. Du Moyen Age date aussi la conception du travail qui prévaut aujourdhui : « Selon lhéritage biblique, écrit Perrine Mane, le travail est longtemps apparu comme la punition du péché originel, mais un processus de valorisation du travail sopère entre le 11e et le 13e siècle... » De stigmatisé, le travail se voit lobjet dune promotion inédite...
On pourrait multiplier les exemples. Le Moyen Age voit la renaissance des études juridiques. Du 11e et 12e siècles, nous rappelle Robert Jacob, date aussi la séparation de lordre spirituel celui des clercs et de lordre temporel celui des laïcs. Enfin, plus important que tout peut-être, le Moyen Age invente sinon le livre, du moins sa forme moderne : le codex, dont les pages se tournent, remplaçant lancien volumen (rouleau). Et cest au Moyen Age également, aux dires de Daniel Russo, quil faut situer cette «mutation fondamentale» à partir de laquelle lécrit prend le pas sur la parole : rupture qui a pour effet de «[dissocier] lenseignement de la parole de Dieu et [de le rapprocher] du langage écrit des hommes et de son support, le livre.» La représentation du divin obéit à la même logique, François Boespflug nous révélant que «limage occidentale de Dieu», si elle est dabord celle du «Tout-puissant, souverain idéalisé», devient, à partir du 9e siècle, celle du Christ en croix dabord figuré glorieux puis, à partir du 13e siècle, représenté souffrant.
On se saurait rendre compte de la richesse dun tel livre dans lespace dun article. La réflexion de Michel Pastoureau (à qui on doit un très beau livre sur les Figures romanes, écrit lan dernier en collaboration avec Frank Orvat et paru lan dernier au Seuil) sur lanimal, celle de Robert Jacob sur le mélange de fascination et de répulsion de lhomme médiéval pour le désordre, comme les pages consacrées par Jean-Claude Schmitt à lespace des marges bordant le texte : tout cela rend compte de façon captivante du rapport à lAutre, un Autre multiple et protéiforme à partir duquel se dit, dans une grammaire à la fois expressive et économe, le rapport toujours sujet à variations des hommes à limaginaire, de même que la façon, tout à la fois audacieuse et timide, quils ont de lévoquer. Bref, le Moyen Age en lumière nous ouvre à une anthropologie de la vie réelle comme de limaginaire.
Thomas Regnier ( Mis en ligne le 13/12/2002 ) Imprimer | | |
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