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| Raoul Vaneigem Rien n'est sacré, tout peut se dire La Découverte - Sur le vif 2003 / 6.40 € - 41.92 ffr. / 96 pages ISBN : 2707141372
Préface de Robert Ménard, président de
"Reporters sans frontières". Imprimer
Voilà un petit essai salutaire, dont le titre est plus quexplicite, encore plus une fois que lon a rapidement resitué son auteur. Raoul Vaneigem a été membre de lInternationale situationniste entre 1961 et 1970, proche de Guy Debord, et il est lauteur du célèbre Traité de savoir-vivre à lusage des jeunes générations, en 1967.
Le situationnisme prône la construction de situations concrètes, dambiances, et de moments forts pour aboutir à une révolution permanente de la vie quotidienne. Mais la réactivation de ce désir et de cette prise de conscience passe dabord par une libération sociale totale, cest-à-dire une opposition totale au joug capitaliste et marchand, et à son pendant, le mythe de la société de loisir. Le situationnisme propose, comme alternatives, la jouissance et la gratuité, la libération artistique, et le refus de tout pouvoir hiérarchisé et de tout courant dominant (donc un refus de la politique). En rupture dune part avec lutopie communiste, de lautre avec les méandres de lexistentialisme, porté par une dizaine dintellectuels, le situationnisme eut une importance notable dans les mouvements étudiants de Mai 68.
Une fois que lon a bien en tête les principales idées du situationnisme, lessai de Vaneigem, rédigé avec élégance, se déguste agréablement, et son raisonnement paraît limpide. Plutôt que de sacharner à combattre les pensées et les paroles inadmissibles, les injures, la pornographie, les mots abjects, lappel au meurtre et les opinions nauséabondes, plutôt que de séchiner à préserver les secrets dEtat, ou tout simplement une bonne réputation, mettons plutôt à profit nos forces vives dindignation pour empêcher les situations qui créent les conditions dexpression de cet abject. En gros, agissons. Ou plus exactement, retrouvons le désir dagir, de créer une condition humaine digne et supérieure. De ce fait, les pensées indignes disparaîtront delles-mêmes.
Ce nest pas la représentation de lhorreur qui est indigne, cest lhorreur elle-même, en soi, et cest cette horreur qui est à combattre. Par conséquent, aucune expression ou représentation, si affreuse soit-elle, ne doit être interdite, dune part parce que «toute idée reçue pour éternelle et incorruptible exhale lodeur fétide de Dieu et de la tyrannie» et que «la manière den finir avec un monde qui se détruit de lui-même nest pas de lanathémiser mais den évacuer les décombres et de bâtir une civilisation nouvelle.»
Pour lauteur, la majorité des malheurs du monde est due à des grands fléaux : le capitalisme, largent, le profit, le pouvoir, autant dillusions qui enferment lhomme et lasservissent. Cest dailleurs en stigmatisant ces phénomènes que le propos de Vaneigem est convaincant : «Rien (
) nest plus appréciable que la liberté de parole accordée à tous afin quune floraison didées nouvelles préside à la reconstruction de lexistence individuelle et de la société à lheure où implose lentement un système fondé sur la quête exclusive de largent et qui ruine les services publics, cautionne les pratiques mafieuses, généralise lescroquerie, produit la délinquance et lidéologie sécuritaire, livre les enfants au travail et tristes débauches de la jet society, anesthésie la sensibilité, propage le nihilisme de lennui et du désespoir.»
On pourra évidemment reprocher à lauteur de verser dans des utopies dun autre temps, de parler dans le vide et de construire un système très abstrait dans le seul but de servir sa parole. Par exemple, on nest pas sûr que les «enfants» ne soient livrés quaux seules débauches de la «jet society», qui na pas lexclusivité de loutrage à mineur. Ou encore, quand Vaneigem donne à quiconque «le droit de proférer impunément des stupidités ou des infamies inclines à les mener jusquà loutrance où elles se défont delles-mêmes», on peut parfois douter que la stupidité jusquà loutrance se défait forcément delle-même on voit bien que lauteur ne regarde pas certains prime-time à la télévision. Et finalement, si lon part du principe que la bêtise, la laideur et la stupidité salimentent les unes et les autres de telle sorte quelles grossissent, enflent et sentraînent, peut-on alors tout dire, tout penser, sans aucune limite ?
Bref, le lecteur est en droit de ne pas adhérer totalement au propos de Vaneigem, ou tout du moins den envisager certaines limites. Ce qui ne remet pas en cause la qualité du texte, encore moins son intérêt idéologique, qui fait un peu le ménage dans cette tyrannie de la pensée correcte, cette obsession de la phrase lisse, du non-dérapage, qui terrorise les médias, et la création artistique en général. Alors queffectivement, limportant se situe sans doute ailleurs, dans le combat pour la dignité de chacun. Il est dailleurs intéressant de noter que la préface est rédigé par Robert Ménard, président de Reporters sans frontières.
Caroline Bee ( Mis en ligne le 10/09/2003 ) Imprimer | | |
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