Gabriel de Llobet Un évêque aux armées en 1916-1918 - Lettres et souvenirs de Mgr de Llobet Presses universitaires de Limoges 2003 / 15 € - 98.25 ffr. / 133 pages ISBN : 2-84287-282-7 FORMAT : 16x24 cm
Documents réunis et présentés par Gabriel de Llobet.
Préface de Gérard Cholvy.
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
Ces dernières années ont vu la publication de nombreux ouvrages sur limplication du clergé catholique français dans le premier conflit mondial. Editions de carnets de prêtres mobilisés (Adelphe Pousse, Un prêtre sous la mitraille, Jaignes, 2000 ; Jean Julien Weber, Sur les pentes du Golgotha. Un prêtre dans les tranchées, Strasbourg, 2001) ou synthèses plus larges (Nadine-Josette Chaline (dir.), Chrétiens dans la Première Guerre mondiale, Paris, 1993 ; Annette Becker, La Guerre et la foi. De la mort à la mémoire, 1914-1930, Paris, 1994 ) fleurissent, défrichant un terrain resté jusque-là propriété des hagiographes plus que des historiens.
Bien que magistralement abordé par Xavier Boniface dans une thèse récente (publiée sous le titre : LAumônerie militaire française, Paris, 2001), laspect institutionnel de la situation est sans doute le moins bien connu. Si certains ecclésiastiques servirent comme combattants, dautres comme infirmiers, ils ont surtout trouvé leur place dans la mémoire collective sous la figure de laumônier : le Père Brottier, futur fondateur de lUnion nationale des combattants ou encore labbé Umbricht, mutilé de guerre, sont entrés dans le panthéon de la «profession». La présence auprès des poilus de prêtres catholiques nalla pas sans poser de problèmes de conscience aux dirigeants dune République très laïque, qui ne leur avait fait aucune place au sein de larmée avant 1913, puis nen toléra quun nombre très faible auprès de ses soldats. Même au temps de lUnion Sacrée, la «rumeur infâme» - qui faisait des prêtres une race «dembusqués» et les inspirateurs de la guerre (1915) afin de se venger du régime qui avait séparé lEglise de lEtat - eut la vie dure.
Dans ce contexte laumônerie ne fut que tolérée bien que des milliers de prêtres et des millions de catholiques pratiquants fussent mobilisés et ne bénéficia que de peu de reconnaissance gouvernementale. Pour mettre de lordre dans la foule des ecclésiastiques de tous les diocèses, des religieux métropolitains et missionnaires qui officiaient au sein des troupes, le pape Benoît XV finit par créer sa propre structure, parallèlement à celle de larmée. Il nomma le 19 novembre 1917 deux aumôniers inspecteurs (plus un troisième pour la marine), sortes de généraux de cette armée qui avaient troqué la soutane pour luniforme. Son choix se porta sur deux hommes des marges, les plus jeunes évêques de France, les seuls à avoir été mobilisés du fait de leur âge : lAlsacien Ruch, évêque de Nancy, et le Catalan Llobet, évêque de Gap.
Vie quotidienne dun poilu un peu particulier, vie ecclésiale (messes, cérémonies, administration des sacrements), paysages de guerre (surtout de lAisne, notamment Soissons dévastée) : les lettres et les souvenirs de Mgr de Llobet nous restituent certes latmosphère dun temps de guerre. Mais cette lutte contre lAllemand (incarnation pour les catholiques du protestantisme et surtout du néo-paganisme scientiste), décrite par bien dautres soldats, se double ici dun affrontement plus feutré mais bien réel entre les autorités françaises et lEglise. Homme de son temps, marqué par un extrême patriotisme et une foi militante, Mgr de Llobet nous livre là un témoignage original et fort utile, très bien présenté par Gabriel de Llobet, son petit-neveu, agrégé dhistoire. A lheure où il est fréquent dévoquer le modèle de «laïcité à la française», il nest peut-être pas inutile de rappeler quil fut au départ souvent une machine de combat contre le «cléricalisme». Lun des seuls effets bénéfiques de la Grande Guerre fut de le transformer progressivement en véritable neutralité.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 29/06/2004 ) Imprimer
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