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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Choc des religions, paix de religion
Claire Gantet   La paix de Westphalie (1648) - une histoire sociale, XVIIe-XVIIIe siècles
Belin 2001 /  22.75 € - 149.01 ffr. / 448 pages
ISBN : 2-7011-2977-X
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En ces temps de haine et de misère, l’histoire des guerres de religion prend une actualité brûlante. L’intérêt redouble quand, comme c’est le cas du livre de Claire Gantet, l’historien montre non seulement comment les hommes font la guerre mais aussi comment ils s’efforcent de « faire la paix », c’est-à-dire comment ils la préparent, la négocient et la maintiennent.

Les Français connaissent ou croient connaître leurs guerres de religion, mais sont tout à fait ignorants de celles des autres. Le premier mérite de Mme Gantet est donc de nous arracher à l’introspection hexagonale pour nous emmener chez l’ex-ennemi héréditaire, dans le Saint Empire romain germanique des XVIIe et XVIIIe siècles. A l’opposé des écoles traditionnelles qui, d’un côté du Rhin, célébraient dans les traités de Westphalie l’avènement de la prépondérance française, et, de l’autre, les fustigeaient comme marque de l’abaissement du corps germanique, l’auteur se rattache au courant historiographique récent qui met en lumière l’originalité de la construction impériale, telle qu’elle subsista de 1648 à 1806. Là où les anciens historiens ne voyaient qu’émiettement et impuissance, les nouveaux découvrent les vertus d’un Reich rénové, où fleurit l’attachement à la nation allemande, où les institutions impériales, notamment judiciaires, gardent toute leur importance, où la paix religieuse, surtout, se trouve définitivement assurée.

Mme Gantet ne raconte ni la guerre de Trente Ans ni les négociations de Westphalie. Elle étudie les discours, les représentations et les commémorations qui entourent la quête de la paix, pendant la guerre elle-même, au moment des traités de Munster et d’Osnabruck et pendant les cent cinquante années qui suivirent, sans s’interdire quelques incursions dans les XIXe et XXe siècles. Si l’auteur s’intéresse à tout l’espace germanique, elle a concentré ses recherches sur les villes de l’Allemagne du Sud, en particulier sur Augsbourg, antique cité, fière de son passé romain et impérial.

Pendant les opérations elles-mêmes, témoins, chroniqueurs et polémistes mettent l’accent sur les horreurs de la guerre, massacres, famine, peste, anthropophagie, noircissant le tableau à l’extrême. Pour Mme Gantet, il ne s’agit pas là d’une relation spontanée des faits mais d’une « représentation construite ». Chaque parti renchérit dans l’horrifique et renvoie les atrocités décrites à la face de l’adversaire. En outre, montrer les horreurs de la guerre, la dépeindre comme une folie, un retour à la sauvagerie, c’est pousser au retour de la paix. C’est ainsi que la figure du courtisan, traîneur de sabre corrompu par les mœurs étrangères, devient un repoussoir. La soldatesque redoutée est elle aussi associée à l’étranger : c’est le Français, le Suédois, l’Italien, le Croate. Au contraire, les écrivains redécouvrent dans la littérature de l’Antiquité les vertus du Germain aux mœurs pures et douces. Arioviste, Arminius, Wedekind sont les héros du Vaterland. La guerre civile n’entraîne pas une altération du sentiment national, bien au contraire.

Ces thèmes des années de guerre annoncent le compromis atteint en 1648. La coexistence des confessions catholique, luthérienne et calviniste est reconnue, comme le souhaitent les protestants ; le recours à l’« année normale » 1624 pour fixer le partage des biens ecclésiastiques entre confessions satisfait les catholiques. La paix est fondée non sur l’idée de justice mais sur celle d’amitié entre les parties ; d’où les « oubli et amnistie perpétuels » stipulés par le traité. L’Empire allemand reste chrétien et uni contre l’étranger : la figure du Turc allait servir de repoussoir à l’union renouvelée. Les fêtes données à l’occasion de la paix témoignent du souci de pacification des deux côtés : ce sont des bergeries, des banquets gigantesques, des feux de joie, des fontaines de vin, des feux d’artifice, des entrées solennelles, des cérémonies religieuses. Les rites fédérateurs sont multipliés, assurant la transition de la guerre vers la paix. Pourtant, les deux camps subsistent. Si les protestants célèbrent la réconciliation, les catholiques, mécontents au fond de l’égalité reconnue aux autres confessions, fêtent surtout le départ des troupes étrangères. Deux mémoires de la guerre différentes se sont très vite installées : les catholiques fêtent la bataille de la Montagne Blanche ; les protestant honorent la mémoire de Gustave Adolphe. Mais chacun célèbre d’autant plus chaleureusement le traité qu’on craint pour sa solidité. Sa mise en application ne se fait pas sans « cahotements », comme l’écrit Mme Gantet, mais un peu partout des solutions permettent à chacun de sauver la face. Surtout, la mémoire du conflit fut « criblée d’oubli, voire structurée par l’oubli » pour permettre la réconciliation. Dans les décennies qui suivirent, la commémoration du conflit et de la paix se transforma lentement en folklore. La célébration de la paix avait une valeur pédagogique : faire ressentir à chacun les avantages de la paix de religion. Peu à peu, au cours du XVIIIe siècle, les fêtes de la paix se chargent d’éléments a-confessionnels, le moralisme l’emporte et on communie dans l’amour du Deutsches Vaterland. Déconfessionnalisation progressive de la politique, désincarnation du patriotisme impérial, promotion de l’idée de Polizei (bon gouvernement) comme premier objectif de l’Etat : autant d’éléments qui, autour de la paix de Westphalie, mènent non à la décomposition du corps germanique, mais à la naissance de l’Allemagne moderne.

Issu d’une thèse soutenue en 1999, le livre de Mme Gantet souffre des coupes imposées par les contraintes éditoriales : la suppression de la bibliographie est la plus regrettable. Quitte à amputer, mieux aurait valu sans doute sacrifier l’appareil critique et renvoyer, pour sa consultation, au manuscrit de la thèse. Malgré ces coupes, cet ouvrage d’histoire « au second degré » reste plutôt destiné aux spécialistes qu’au grand public. Le grand défaut de cette histoire anti-positiviste, c’est qu’elle omet de raconter et en vient à nier la possibilité même d’établir des faits. Elle est riche, en revanche, de mises au point historiographiques précieuses et de vues originales propres à nourrir la réflexion politique et sociale la plus immédiate. Quelques recettes appliquées pour faire cohabiter papistes et réformés du vieil Empire germanique pourraient resservir à l’occasion, pour restaurer l'harmonie entre uniates et orthodoxes, juifs et musulmans, sunnites et chiites... On notera par exemple la pratique du simultaneum, qui permet à deux cultes rivaux de desservir le même édifice : encore aujourd’hui, elle aurait certainement d’heureux effets dans des contrées partagées entre confessions chrétiennes, comme en en Roumanie ou en Ukraine.

Saluons donc, avec cette Paix de Westphalie et quelques autres études, le retour de l’histoire – et pas seulement de l’histoire contemporaine - comme science politique au sens le plus noble du mot, non point seulement exercice gratuit ou désincarné, mais aussi guide et source d’inspiration pour le gouvernement de la cité.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 02/01/2002 )
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