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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Pierre Darmon Le médecin parisien en 1900 - La vie quotidienne Hachette - Pluriel 2003 / 8.40 € - 55.02 ffr. / 330 pages ISBN : 2-01-279134-4 FORMAT : 11 x 18 cm
Ouvrage paru une première fois en 1998 chez Hachette sous le titre La vie quotidienne du médecin parisien en 1900.
L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
La «Belle Epoque» na jamais existé ; elle est cet âge dor auquel la boue des tranchées et la saignée de la Grande Guerre donnèrent un lustre rétrospectif quelque peu exagéré, une patine aux reflets didéal. Ce «temps perdu» pleuré par Proust nen est pas moins un moment clé dans notre histoire, celui où se sont mis en place les mécanisme sociaux, politiques et culturels du XXe siècle. Les années sétalant de la fin du XIXe siècle à Sarajevo furent marquées par une entrée brutale dans la modernité, la rupture de schémas sociaux ancestraux, des traditions envolées.
En sintéressant à lun des corps de métier les plus prestigieux de cette époque, Pierre Darmon, spécialiste en la matière (citons sa biographie de Pasteur parue en 1995 chez Fayard), donne à voir ce moment de passage. Les médecins reflètent en effet socialement et techniquement cette entrée dans un nouvel âge. La «Belle Epoque» préserva et ébranla tour à tour limage du prêtre médical, du notable respecté aux techniques désuètes, proposant les traits de plus en plus banalisés dune corporation entrant dans son temps : spécialisation, massification, fonctionnarisation, etc
Comme lécrit lauteur, «la profession nest plus ce quelle était jadis : un sanctuaire. [
] Le médecin "fin de siècle" sapparente davantage à un domestique quil ne sapparentait jadis à un prêtre.» (p.122-123.)
Le médecin parisien en 1900 est une somme complète sur la condition médicale en ces années charnières. On ne peut que conseiller cette passionnante synthèse sur une profession romanesque à bien des égards. Les images dEpinal sur le médecin vont bon train à lépoque ; contradictoires, souvent exagérées, elles montrent néanmoins la diversité de cette condition médicale : entre le carabin peinant à joindre les deux bouts pour terminer ses études, son aîné pas plus chanceux dans la recherche dun cabinet et la création dune clientèle, et le prince médical, médecin mondain, mécène et artiste, peut-être entré en politique (Clemenceau, pour ne citer que lui), quels sont les points communs ?!... Pierre Darmon analyse cette diversité. Les chapitres quil consacre à la difficile condition estudiantine et à la crise médicale dont les tribunes journalistiques perpétuent lécho en lamplifiant, sont éclairants : lhistorien montre les réalités de cette crise comme ses limites.
Les moyens dévoyés pour parvenir à ses fins sont développés en détail ; croustillants, anecdotiques, ils montrent aussi à quel point la «Belle Epoque» mêlait parfois inextricablement la foi en la science et la fascination devant lésotérisme. Les charlatans incarnent ce phénomène : le nouveau Messie de Clichy, le zouave Jacob, le Dr Edwards sont les emblèmes de ce monde étrange des magnétiseurs et des hypnotiseurs.
Mais la science fait aussi des bonds de géant. La «Belle Epoque», au lendemain de la révolution pasteurienne, voit lavènement dune médecine non plus débilitante (la saignée a vécu ses derniers jours) mais fondée sur une médicamentation tonique et reconstituante. Ce sont aussi les débuts de la nouvelle chirurgie : les progrès de lhygiène, de lanesthésie (la première intervention sous anesthésie a lieu en 1846), la conception de lantisepsie par lécossais Joseph Lister puis de lasepsie dès 1889 avec Félix Terrier, permettent des interventions chirurgicales plus audacieuses et abouties. En France, Jules Péan fait progresser la gynécologie chirurgicale et lintervention contre le cancer. En 1895, le professeur Röntgen découvre les vertus du rayon X ; avec Becquerel et Pierre Curie naît alors la radiothérapie (radiumthérapie, dit-on). Ces années carrefour connaissent aussi les balbutiements de lendocrinologie cependant que linvention des frères Lumière permet au professeur Doyen de réaliser les premières interventions chirurgicales filmées dès 1898.
Ce va-tout scientiste saccompagne dexcès ; Pierre Darmon confirme sources à lappui que lune des grandes obsessions des médecins est la question de lhérédité pathologique : limage du médecin châtreur est lun des topoï de la littérature contemporaine, à linstar du Fécondité de Zola (1898).
Le XXe siècle se met donc progressivement en place. Ces découvertes ne bouleversent cependant pas encore les pratiques médicales. A lépoque étudiée, la principale cause de mortalité reste les maladies respiratoires : la tuberculose, la phtisie sont des fléaux répandus contre lesquels les médecins, eux-mêmes exposés, nont pour seule arme que des techniques découte poussées à leur perfection. Le XXe siècle est prêt à entrer en scène mais il attend son coup denvoi : ce sera la Grande Guerre.
Fondé sur une connaissance intime et érudite de lobjet médical, Le médecin parisien en 1900 est donc un ouvrage de référence. Les sources utilisées par lhistorien sont diverses : juridiques, journalistiques, administratives, elles semblent cependant dominées par lutilisation des textes littéraires, pièces de théâtre et romans tels Les morticoles de Léon Daudet (1895) ou Pauvres docteurs de Lucien Nass (1908), abondamment cité. Il en ressort un savoir parfois anecdotique, sans que ne soit gâché lensemble de louvrage écrit, qui plus est, dune plume hautement littéraire.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 08/09/2003 ) Imprimer
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