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Histoire & Sciences sociales  ->  Biographie  
 

Léonard ou le péril des Illustres
Carlo Vecce   Léonard de Vinci
Flammarion - Grandes biographies 2001 /  24.43 € - 160.02 ffr. / 400 pages
ISBN : 2-08-21534-3
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Ecrire la vie de Léonard de Vinci est un périlleux exercice. Homme universel, prophète, génie par excellence, le personnage appelle les superlatifs ; il est caché sous le mythe. Une biographie du maître risque fort de n’être qu’une coquille vide, où quelques généralités pompeuses voisinent avec les anecdotes tirées des Vies de Vasari.

Dans ce Léonard, publié en Italie en 1998 et aujourd’hui traduit, l’écueil est évité. Savant éditeur des manuscrits du maître, Carlo Vecce sait fort bien de qui et de quoi il parle. Une iconographie judicieuse, une annotation précise, une bibliographie exhaustive, un état des sources fort érudit, une chronologie détaillée, un index soigneusement établi : autant de signes de la qualité du travail de l’auteur et de ses éditeurs. Pour l’historien, pour l’universitaire, l’ouvrage de M. Vecce est sans doute appelé à devenir un outil de référence.

Il n’est pas sûr, cependant, que le simple curieux – l’honnête homme, comme on dit – puisse y trouver son compte. Soucieux d’éviter les banalités, l’auteur s'en tient à un récit strictement chronologique de la vie de Léonard, de sa naissance en 1452 à sa mort en 1519. Au rebours des clichés du XIXe et du XXe siècle sur l’homme de génie, le maître n’a rien d’un artiste maudit. Fils naturel d’un notaire florentin, Léonard n’est pas contrarié dans sa vocation par sa famille : il est placé tout jeune dans l’atelier de Verrochio et, par la suite, son père lui fournit la clientèle des établissements religieux auquel il est lié. La carrière de l’artiste se déroule auprès des puissants susceptibles d’avancer sa fortune : les Médicis, à Florence, jusqu’en 1482, Ludovic le More, à Milan, jusqu’en 1499, la République de Venise, en 1500, César Borgia, en 1502-1503, la Seigneurie de Florence, de 1503 à 1506, Charles d’Amboise, à Milan, de 1507 à 1511, Julien II de Médicis, à Rome et Florence, de 1513 à 1516, François Ier, en France, de 1516 à 1519. Cette vie vagabonde, ces fréquents changements de protecteur et son incapacité à achever plusieurs commandes n’empêchent pas Léonard d’accéder à la notoriété et à l’aisance. Peintre, sculpteur, architecte et ingénieur, le maître fait valoir efficacement ses multiples talents auprès de ses patrons successifs.

Un peu naïvement, M. Vecce s’étonne de découvrir que l’artiste visionnaire est aussi un gestionnaire avisé, qui surveille ses vignes et son compte en banque, et tient soigneusement sa comptabilité. On sent bien Léonard angoissé de maintenir son statut social de bourgeois florentin, statut menacé par son état de fils naturel et par le remariage de son père. L’atelier du maître ne lui permet pas seulement de lutiner les jeunes gens, c’est surtout une petite entreprise dont il tire sa subsistance, qui multiplie ses productions et dont le chef sait mener les destinées dans la conjoncture politique troublée des guerres d’Italie.

Léonard de Vinci n’a donc rien d’un incompris ou d’un asocial. L’époque lui est relativement douce. Ses protecteurs ne semblent pas lui tenir rigueur de ses infidélités nombreuses, ses clients montrent peu de rancune pour les commandes payées mais non honorées, et notre héros vit en ménage avec un de ses jeunes élèves – le fameux Salaï – pendant un quart de siècle, sans que la Sainte Inquisition y trouve à redire. Le public a reconnu le génie du peintre et de l’ingénieur militaire – cette seconde qualité ayant sans doute plus d’importance que les autres. Sur la fin de sa vie, honoré à l’égal des grands, devenu un noble vieillard, il trône au château de Clos-Lucé, près d’Amboise, précédemment occupé par Louise de Savoie, la propre mère du roi de France : c’est dire quel degré de l’échelle sociale il a atteint.

Le livre de M. Vecce nous montre tout cela avec beaucoup d’exactitude - mais ne nous montre que cela. L’auteur est aussi peu peintre que possible. Léonard de Vinci traverse Florence, Milan, Rome, Venise, au plus beau de leur gloire renaissante : jamais ces cités ne nous seront décrites, même succinctement. Il croise le chemin des Médicis, des Sforza, des Borgia, de cent potentats et hommes de guerre de France et d’Italie. Jamais l’auteur n’essaie d’animer ces figures. Sans tomber dans le guide touristique ou dans le bottin mondain, il aurait été possible d’évoquer en quelques phrases lieux et gens, de leur donner davantage de chair et de substance. Une carte des voyages du maître aurait été aussi bien utile. Malheur au lecteur français peu familier de la géographie de l’Italie du Nord ! Malheur à celui qui n’est pas familier de la chronique politique et militaire, singulièrement embrouillée, des années 1450-1520 !
Surtout, la vie de l’homme éclipse son œuvre, qui n’apparaît que dans la suite des temps. Tableaux, dessins, traités, expériences sont décrits et analysés avec pertinence, mais la synthèse fait défaut. En quoi Léonard innove-t-il par rapport à la génération précédente ? Quelle est sa postérité artistique et technique ? Y a-t-il une école de Léonard ? L’auteur n’en dit rien. Nous avons tous en mémoire plusieurs de ses tableaux : quelle fut leur influence, leur fortune critique dans les siècles suivants ? Nous avons tous aperçu certains de ses dessins prémonitoires : hommes volants, chars d’assaut, sous-marins. Où ranger tout cela dans l’histoire des sciences et des techniques ? Qu’en est-il des œuvres attribuées sans preuve à Léonard, comme le château de Chambord ? En quoi la culture de Léonard, sa vie privée, sa pensée sont-elles représentatives ou non de la société de son époque ou du moins d’une « classe artistique » en voie de constitution ? Autant de question intéressantes – et pas seulement pour le spécialiste – qui demeurent sans réponse. Dans la vie d’un artiste, d’un visionnaire, ce qui compte c’est l’art, c’est la vision. Les accidents de l’existence ont leur intérêt sans doute, mais sont sans commune mesure avec ceux qui parsèment la vie d’un prince ou d’un grand capitaine.
Lancée par les Anglo-Saxons, la mode est aux biographies épaisses, souvent indigestes. Celle-ci, au contraire, tient en trois cents pages. Mais, pour une fois, la brièveté n’est pas une qualité : pour donner un peu d’épaisseur au récit, pour examiner les points laissés en suspens, de plus longs développements auraient été bienvenus. Loin du monument biographique et littéraire que le personnage méritait, Carlo Vecce livre un utile et savant "Précis de la vie de Léonard de Vinci". Fuyant l'écueil de la lourdeur, il est tombé sur celui de la sécheresse, de l’aridité, quand le sujet appelait l’abondance et l’italianità. Paysages irréels, vieillards pensifs, vierges énigmatiques, machines merveilleuses : les mondes de Léonard gardent leur mystère.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 16/11/2001 )
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