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Histoire & Sciences sociales  ->  Historiographie  
 

L'histoire de gauche à droite
Jean Sévillia   Historiquement correct - Pour en finir avec le passé unique
Perrin - Tempus 2006 /  10 € - 65.5 ffr.
ISBN : 2-262-02497-9
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en avril 2003 (Perrin).


L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France (2004), Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Co-rédacteur en chef de Parutions.com, il est par ailleurs directeur associé de programmes d'études américains à Paris.

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Jean Sévillia, journaliste et critique littéraire, pousse un cri de 450 pages contre les clichés historiques qui, tenaces, innervent encore les discours politiques, médiatiques et journalistiques français. On se rappelle le mot malheureux de Lionel Jospin rappelant à l’Hémicycle que la droite fut antidreyfusarde quand la gauche défendait le capitaine injustement condamné. Ce genre de raccourci n’honore pas celui qui l’emprunte, quel qu’il soit. Lionel Jospin ne fut sans doute pas plus inspiré alors que ne le fut plus tard J.-P. Raffarin évoquant le «purgatoire» dans lequel la gauche aurait laissé la France… Quant à la repentance et aux batailles mémorielles ethnicisées, elles donnent à la France jacobine malade de faux airs de melting pot mémoriel. Balkanisation de notre passé?...

Un essai sur les larsens de l’histoire, sur les couacs de la mémoire, semblait bienvenu. Car l’histoire dans sa vérité souffre de la multitude des images d’Épinal qui la masquent. Cette parade des ombres menteuses est réelle et ancienne. La vision encore aujourd’hui négative du Moyen Age et de l’Ancien Régime perdure du fait d’une tradition culturelle et politique faisant naître la France moderne en 1789 et parant les années révolutionnaires de toutes les vertus. En 18 chapitres consacrés à autant de dossiers épineux de la mémoire, l’auteur redresse les vérités, travaux des chercheurs à l’appui. Ce serait une démarche estimable si les choix de l’auteur n’avaient été biaisés.

C’est en effet en homme de droite que Jean Sévillia, rédacteur en chef adjoint au Figaro littéraire, dénonce une vision de l’Histoire dont la gauche serait l’unique productrice et déformatrice, ce qu’il appelle «la légende dorée de la gauche française». Dès lors, dénoncer une histoire réécrite le long de la ligne de partage politique, tout en restant sur cette frontière, perd de sa force.

Jean Sévillia a sans doute raison de rappeler que la Moyen Age ne fut pas ce temps obscurantiste précédant le retour à la civilisation avec la Renaissance, puis les Lumières, la Révolution, le libéralisme, selon une ligne de pente ascendante dont l’histoire, "tragique", a montré justement qu’elle n’existe pas. Il est vrai que cette vision progressiste fut créée et alimentée par des historiens ayant intérêt à fausser la complexité des faits pour forger une identité commune. Michelet, Lavisse et d’autres créèrent en connaissance de cause des mythes fondateurs des sentiments nationaux. Vercingétorix, Clovis, Jeanne d’Arc, Danton et Robespierre appartiennent à un panthéon appris sur les bancs des écoles. Ces héros chez qui le mythe finit par l’emporter sur l’histoire, n’en sont pas moins utiles. Ils sont ces modèles sans lesquels il n’est pas d’identité possible. Or, Jean Sévillia regrette actuellement le délitement de cette identité, dans des accents décadentistes dont l’histoire, depuis des millénaires, perpétue l’écho, que les médias amplifient par ailleurs outrageusement. On ne comprend pas alors où il veut en venir, sinon à gifler, histoire à l’appui, l’histoire vu depuis la gauche.

On passe alors à tribord. Contre les fausses vérités entretenues pas la gauche, l'auteur rappelle ses méfaits et les hauts faits de la droite : l’éveil de l’intérêt du catholicisme à la question ouvrière au XIXe siècle, la participation des idéologies de gauche à la renaissance de l’antisémitisme à la fin du même siècle, l’horreur de la Terreur et de la Commune, l’intolérance protestante n’ayant rien à envier à celle du catholicisme, celle des Lumières, etc. Est-ce à dire que la Réforme, que les Lumières, que la Révolution ne furent pas ces moments d’éclairement retenus par l’histoire ? Jean Sévilla semble parfois vouloir détruire la règle en montrant l’exception qui ne fait généralement que la confirmer, tout en rappelant, parfois grossièrement, des vérités plus connues en fait qu'il ne le laisse croire.

Ce que son propos et ses sous-entendus montrent, c’est bien l’importance de l’histoire dans la vie d’une nation. Celle-ci a besoin de ses chapelles et de ses panthéons, de ses lieux de cultes, de ses «lieux de mémoire» (Pierre Nora) pour reprendre une expression ayant fait florès. Fût-ce au prix du mensonge ou de la simplification, d’un manichéisme de mauvais ton, certes, mais somme toute nécessaire. L’autre réflexion que suggère la lecture de cet essai est que l’histoire se trouve prise en porte-à-faux entre son exigence de vérité et le devoir de l’enseignement. Car on ne peut qu’enseigner simplement une histoire complexe, une histoire aux rets enchevêtrés, qui n’est pas perceptible sans un travail patient et opiniâtre, celui de l’historien, expert en nuances et pour qui les choses jamais ne sont simples. Les manuels scolaires, comme les propos quotidiens, peuvent-ils échapper à la facilité de l’amalgame : traiter Le Pen de fasciste, l’intervention américaine en Irak de croisade, la droite d’antidreyfusarde et la gauche de bolchevique ?...

Le présent ouvrage n’apprendra rien à l’historien ni à l’étudiant. C’est une immense dissertation de culture générale au service d’un propos noble mais dévoyé. On regrettera que l’auteur, dans le choix de ces exemples, ait oublié le dossier brûlant du négationnisme, véritable plaie dans l’histoire et sa mémoire. De manière générale, il aurait été bienvenu d’identifier plus sereinement les réflexes conduisant à la déformation historique. La bipolarité politique en est un, le devoir de mémoire et d’oubli, un autre. Les réflexes patriotiques conduisent également à minimiser des réalités historiques, ainsi d’un fascisme français dont on peut gager que, si l’interprétation sternhélienne mérite les critiques qui lui ont été faites, celles-ci n’en sont pas moins excessives et lapidaires parfois.

Enfin, l’auteur oublie de dire ce qui fait l’essence même de l’histoire. Avant d’être l’exposé de vérités, elle est ce dialogue difficile mais passionnant entre des visions qui, tout opposées soient-elles, redessinent dans leur complémentarité les contours complexes de la vérité historique. L’histoire est une réécriture perpétuelle, un incessant retour en arrière, nourri de l’exhumation de sources nouvelles et du regard frais de nouveaux points de vue. En ce sens, la critique par Jean Sévillia de la grande tendance marxiste et structuraliste telle qu’incarnée par l’école des Annales ne semble pas pertinente. Cette approche demeure essentielle dans l’appréhension des phénomènes. Le regard de l’historien du politique ou de la culture vient la compléter, la corriger, lui apporter ses nuances : l’enrichir en un mot sans jamais ne devoir s’y substituer.


Thomas Roman
( Mis en ligne le 11/06/2006 )
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