| Philippe Borgeaud Aux origines de l'histoire des religions Seuil - La librairie du XXIe siècle 2004 / 23 € - 150.65 ffr. / 304 pages ISBN : 2-02-061319-0 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Laurent Bricault, docteur en égyptologie (Paris-Sorbonne), est l'auteur d'un Atlas de la diffusion des cultes isiaques (2001) et du Recueil des Inscriptions concernant les cultes isiaques (2003). Imprimer
Il y a quelques années, Philippe Borgeaud, professeur dhistoire des religions à lUniversité de Genève, avait publié dans la Revue européenne des sciences sociales (vol. 24, 1986) un article majeur, qui fait encore référence, sur «Le problème du comparatisme en histoire des religions». Lessai quil livre aujourdhui semble promis à la même destinée.
Pour Borgeaud, la religion, et a fortiori lhistoire des religions, nexistent pas de toute éternité. Les Anciens navaient probablement pas conscience de pratiquer une religion. Les mythes fondateurs, les cosmogonies, les récits divins de toutes sortes, les rituels journaliers suggéraient une identité et affermissaient les liens sociaux. Ils nétaient pas constitutifs dun ensemble doctrinal, dogmatique et rituel exclusif. Tous les textes à caractère divin nétaient pas nécessairement sacrés. Cétait en partie la force, et sans doute dune certaine manière la faiblesse, des paganismes antiques. Ils pratiquaient volontiers, hors de toute idée nette de prosélytisme, avec plus ou moins de bienveillance et de condescendance, lobservation des autres, de leurs mythes, de leurs croyances et de leurs pratiques. LEnquête dHérodote est un des premiers exemples qui nous soit conservé de cette conception des choses. Lécrivain dHalicarnasse cherche hors du monde grec, et particulièrement en Égypte, des parallèles, des identités divines (Isis est Déméter quand Osiris est Dionysos). La méthodologie nest pas encore systématique, ni même systémique. Un philosophe comme Plutarque ira jusquà rechercher des traductions du grec à légyptien pour expliquer tel terme ou telle notion religieuse égyptienne. De toutes ces prémices de comparatisme serait née lhistoire des religions.
Cest au cur du triangle théologique formé par la Grèce, lÉgypte mais aussi la Judée (songeons au Moïse lÉgyptien de Jan Assmann, ou au Joseph-Sarapis des textes gnostiques) quelle se développe, à force dinterpretatio (graeca et judaica dans un premier temps, romana ensuite). Comparaisons, assimilations, intégrations, rejets, copies structurent les croyances des uns et des autres, qui sinterpénètrent parfois. La création de nouvelles images divines, dont celle de Sarapis à laquelle Borgeaud avait consacré il y a peu une excellente étude, participe également à ces structurations/restructurations.
Chez Cicéron, la religio était lobservance scrupuleuse des rites. Le sens moderne du mot naît avec le christianisme et cette conviction redoutable de détenir une vérité unique, exclusive, et de vouloir limposer au monde. En sopposant aux polythéismes, mais aussi au judaïsme, le christianisme en fait des religions, en en devenant une par la même occasion.
À lheure où le débat de fond, et non ses écumes médiatiques, sur la laïcité et lenseignement du fait religieux est plus que jamais dactualité, louvrage de Borgeaud livre une réflexion passionnante et stimulante, qui tente, et lon ne peut que sen féliciter, de dégager lhistoire des religions de lherméneutique chrétienne qui lenferme presque systématiquement. Certes, la lecture peut parfois savérer un peu ardue, mais la grande érudition de lauteur, en distillant ici et là anecdotes et historiettes, évite le piège de lessai ultra théorique propre à décourager lhonnête homme. Voici bien un ouvrage qui fera date.
Laurent Bricault ( Mis en ligne le 01/03/2004 ) Imprimer | | |