Marthe, Joseph, Lucien, Marcel Papillon Si je reviens comme je l'espère - Lettres du front et de l'arrière (1914-1918) Perrin - Tempus 2005 / 9.50 € - 62.23 ffr. / 398 pages ISBN : 2-262-02231-3 FORMAT : 11x18 cm
Première édition : novembre 2003 (Grasset).
Présentation et notes de Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt.
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
La publication des «Lettres de
» (poilus, détenus, instituteurs et élèves, etc.) est devenu un genre éditorial à part entière. Sur la Première Guerre mondiale, louvrage précurseur avait été Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier. 1914-1918 publié en 1978. Avec la disparition des derniers survivants de la guerre, il semble que le phénomène sintensifie, et lapproche de chaque 11 Novembre est loccasion dun nouveau pilonnage.
Si je reviens comme je lespère sinscrit donc dans cette entreprise de (re)découverte des témoignages de soldats et participe à leffort de constitution dune sorte de mémoire collective de la vie quotidienne au front. Il sagit essentiellement de la correspondance de quatre frères mobilisés, Joseph, Lucien, Marcel et Charles, et de leur sur Marthe. Ils sécrivent entre eux et ils écrivent également à leurs parents. Ces lettres furent retrouvées à partir du mois de décembre 1991 par Madeleine et Antoine Bosshard dans la maison quils venaient dacheter à Vézelay. Parmi les affaires ayant appartenu à la famille Papillon, ils découvrirent des centaines de lettres échangées entre la fin du XIXe siècle et les années 50. Les plus gros paquets correspondaient aux années de la Grande guerre.
Le livre publié à partir de ces lettres comporte en guise dintroduction une présentation, par Madeleine et Antoine Bosshard, de la famille Papillon. La conclusion, signée Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, replace cette correspondance dans le cadre plus général des témoignages et des expériences individuelles de la Première Guerre mondiale. Entre les deux, 335 pages de lettres, dont plus de 200 pour la seule année 1915.
Que nous révèlent ces lettres ? Elles nous font dabord découvrir une famille. Quatre frères, Marcel, Lucien, Joseph et Charles sont mobilisés. Les trois premiers sont au front, le dernier est mécanicien, à larrière dans une unité daviation. Joseph ne reviendra pas : il meurt en Champagne le 28 octobre 1915, gazé la veille au cours dune attaque allemande. Marthe, la sur, travaille à Paris, employée de maison chez de riches commerçants. Le frère cadet, Léon, et les parents Léon et Émilie, sont restés à Vézelay. Il y a peu de lettres deux, mais on les découvre au travers des réponses et des échanges entre les uns et les autres.
Ces présentations faites, une remarque simpose : bien que lon soit dans un milieu populaire - le père est cantonnier - on sécrit énormément. Les lettrés navaient donc pas le monopole de lusage de la plume ou du crayon. Bien entendu, les longues périodes dinactivité au front, lennui, langoisse, créent des circonstances favorables pour écrire. Malgré tout, il reste lillustration de cette familiarité avec lécriture. Même Lucien, qui ignore à peu près tout des règles de lorthographe et de la grammaire («Jai eu de la venne daitre blessé [
]. Je suis sans le sous. Ci tu veu man ranvoillé [
]» écrit-il par exemple le 27 septembre 1915) écrit facilement. Image dun peuple instruit.
Sur le quotidien pendant la guerre, la correspondance nous livre les exemples habituels. Lennui et le train-train des soldats dabord, qui senfoncent lentement dans une guerre longue, pleine dinactivité et de souffrances. Les soucis quotidiens ensuite de lutte contre les rats, de plaintes contre la nourriture, mauvaise et insuffisante, ou léquipement, pas assez chaud ou confortable. Les combats : Marcel, le plus réfléchi, celui qui semble le plus désireux de témoigner, évoque notamment Bois le Prêtre et Verdun.
En outre, chacun à ses préoccupations propres. Marthe se démène pour ses frères, elle envoie des colis, elle confectionne des chaussettes ou des tricots. Marcel médite sur la belle civilisation européenne du XXe siècle qui se livre à un tel massacre. Lucien est plus rustique, il regrette son Morvan et pense déjà aux retrouvailles arrosées avec ses copains lorsquil sera de passage à Vézelay. Joseph enfin, insouciant, semble très détaché des horreurs de la guerre. Cela ne le sauvera pas. Tous se soucient beaucoup des autres et semblent former une famille très soudée. Les lettres de novembre 1915 sont les plus poignantes : on est sans nouvelle de Joseph, qui est déjà mort, et lanxiété croît. Il écrivait peu, mais tout de même ! Lorsque la nouvelle arrive, quelque chose se brise : jusquici, le malheur les avait épargnés, désormais, ils sont réduits au sort commun.
Si je reviens comme je lespère ne comporte en définitive aucun témoignage de première importance. Cependant, il ne faut pas y voir quune collection danecdotes ou de péripéties individuelles. Cette correspondance apporte un nouvel élément dans le vaste champ de recherche destiné à retrouver la dimension humaine de la guerre.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 11/10/2005 ) Imprimer
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