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Essais & documents -> Questions de société et d'actualité |
| Noam Chomsky Pouvoir et Terreur - entretiens après le 11 septembre Serpent à plumes 2003 / 12 € - 78.6 ffr. / 151 pages ISBN : 2-84261-435-6 FORMAT : 11x18 cm Imprimer
Les attentats spectaculaires commis en septembre 2001 ont ouvert de nombreux débats sur le nouvel ordre mondial et la place quy jouent les Etats-Unis. Par-delà lhorreur des destructions et des pertes humaines, la question de la responsabilité de Washington est posée, au point daviver quelques réflexes anti-américains. Ceux-ci sont coutumiers sous nos latitudes et fort anciens (rappelons les travaux de René Rémond sur Les Etats-Unis devant lopinion française, Colin, 1962).
Les soubresauts contemporains de cette méfiance se lisent par exemple périodiquement dans les colonnes du Monde diplomatique et servent de leitmotiv à de nombreux groupes gauchistes, contestataires ou tiers-mondistes. Les Editions du Serpent à Plume, de par leur ouverture à létranger et un positionnement proche de ces choix idéologiques, ne sont sans doute pas exemptes du réflexe. Or, cest le réflexe inverse que dénonce Noam Chomsky, un des rares intellectuels américains qui portent un regard critique sur leur société, les pouvoirs qui la régissent et larrière-plan culturel dont ils tirent leur légitimité.
Noam Chomsky agace par les vérités quil assène et les cris dalarme quil lance. Cet agacement est le signe même de létat desprit occidental quil dénonce : parce que des crimes sont commis par des pouvoirs aux systèmes de valeurs différents, ils ne suscitent pas la même horreur, la même exposition médiatique ni les mêmes attentions universitaires et intellectuelles. Le grand linguiste dénonce cet état de fait. La croisade américaine contre le terrorisme et «laxe du mal», coalition hétéroclite dEtats dits «voyous» (Irak, Iran, Cuba, Haïti, Corée du Nord, etc
), ne doit pas faire oublier le terrorisme dEtat pratiqué par les Etats-Unis eux-mêmes, ni leur soutien à des pouvoirs dont les exactions, tenues secrètes ou minimisées, nen sont pas moins pendables. Chomsky, dans les divers entretiens et conférences tenus au printemps 2002 et ici publiés, expose les cas de la Colombie, de la Turquie ou dIsraël notamment.
Dès lors, lentreprise éditoriale du Serpent à plumes apparaît comme utile et bienvenue. Débarrassées de leurs accents polémiques, les batailles anti-américaines disent une vérité bonne à entendre. La question nest pas celle dune «macdonaldisation» ou «cocacolonisation» du monde. Car, comme le souligne Michel Winock dans un chapitre consacré à cet anti-américanisme français, «cette Amérique, faite de tous les morceaux du monde, ébauche dune civilisation planétaire, nous la craignons parce quelle est en nous, parce quelle est une virtualité à haute probabilité de notre avenir.» (in Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Seuil, 1990, p.51).
Le vrai problème relatif aux Etats- Unis, de nos jours, vient du rôle quils jouent sur la scène mondiale qui, depuis maintenant plus dun demi-siècle, est censée être régie par lONU et un droit international. Lhistoire des dernières décades et lactualité nous apprennent quil nen est rien et quen la matière, Washington mérite le bonnet dâne.
A travers ces différentes interventions, lauteur dénonce tour à tour laveuglement et le mutisme des milieux intellectuels américains, la collaboration entre les pouvoirs américains et les grands médias nationaux (qui nest pas le signe dune soumission, impensable au pays des libertés, mais celui dun accord tacite en fonction dintérêts convergents). Dans la lignée des travaux de Lars Schoultz et Edward Herman, il signale une corrélation entre laide américaine à certains pays et la violation des droits de lhomme qui y est commise. Le lien sexplique : laide américaine, en terme d'investissements, étant fonction de la stabilité politique et sociale du pays considéré, celle-ci passe par la mise au pas de la contestation, par la liquidation des forces sociales et syndicales. Voir létat actuel de lAmérique latine, le soutien durable, même si aujourdhui oublié, à lIrak de Saddam Hussein, etc.
Nous sommes entrés dans une ère nouvelle marquée par un accroissement de la menace terroriste à travers le monde. Cette menace est nourrie par la banalisation technologique et la vulgarisation des armes de destruction massive selon la loi du marché. Lutter contre ce danger doit passer par lidentification de ce qui légitime cette menace. Or, si la tâche est ardue, comme lécrit Chomsky, «il existe pourtant une manière fort simple de diminuer considérablement le terrorisme mondial : que les Etats-Unis arrêtent de le soutenir et dy participer.» (p. 80.)
Pouvoir et Terreur est par conséquent un essai à lire pour se forger une opinion sur létat du monde. Chomsky sexprime avec la violence de lintellectuel et la sagacité de luniversitaire. Il en est à la fois agaçant par ce ton de dramatisation, et convaincant par la documentation quil invoque. Répétons-le : dans nos thébaïdes occidentales, être sceptique face aux affirmations alarmistes de cette Cassandre moderne, nest-ce pas illustrer cette ambiance culturelle et ce parti pris axiologique (les patries des droits de lhomme ne sauraient commettre de crimes contre les droits de lhomme) justement critiqué par lauteur ?... On attend impatiemment ses prises de positions sur la guerre en Irak.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 16/07/2003 ) Imprimer
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