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| Nancy Huston Mosaïque de la pornographie Payot 2004 / 18 € - 117.9 ffr. / 267 pages ISBN : 2-228-89805-8 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
Insolite, telle peut paraître la romancière et essayiste Nancy Huston : canadienne, elle a étudié aux Etats-Unis ; anglophone, elle est ancienne élève de lEcole des Hautes Etudes en Science Sociales et écrit directement en français ; parisienne, elle se sent tout autant
berrichonne ! Insolite aussi, cette réédition chez Payot dun essai écrit en 1982, intitulé Mosaïque de la pornographie, dans lequel elle étudie une littérature sexuelle datant de laprès-guerre.
On est donc bien loin des débats actuels sur la pornographie. Bien quelle se dise moraliste, Nancy Huston ne sintéresse ni à la qualification de certaines pratiques comme perverses, ni à la censure. Elle ne prend pas partie dans le débat entre partisans de la liberté dexpression et défenseurs de la dignité des femmes, ni sur le statut des «travailleurs du sexe». On ne trouvera pas non plus dans son ouvrage des indications sur les dommages que causerait aux adolescents lexposition aux images pornographiques. Il nest pas question dimages ici, mais de mots : ceux de la littérature érotique et pornographique confrontés à ceux dune prostituée qui raconte lhistoire de sa vie. Donc, les pratiques représentées dun côté, les pratiques vécues de lautre.
Linterrogation fondamentale de Huston est la suivante : pourquoi, parallèlement au mouvement démancipation des femmes marqué par la maîtrise de la fécondité, la pornographie fleurit-elle sous une forme misogyne valorisant la domination, voire la destruction ? Lauteur nous replonge dans lactualité dune époque sétendant de la Seconde Guerre mondiale à Mai 68. Actualité littéraire : tandis que la presse du cur prend de lampleur, la censure sévit contre les ouvrages érotiques. Anaïs Nin nosera publier ses Vénus Erotica quen
1977 ! Grand bien lui en prend, car Henry Miller pour sa part voit ses Tropiques (du Cancer et du Capricorne) poursuivis en justice. Le célèbre Histoire dO, paru en 1954 sous la plume dune mystérieuse Pauline Réage, subit le même sort. Actualité politique : les femmes obtiennent le droit de vote en 1944 et la loi Marthe Richard ordonne la fermeture des maisons closes en 1946. Actualité scientifique enfin : les rapports Kinsey, sur la sexualité masculine en 1948 et féminine en 1954, bousculent les idées reçues.
«Javais pris horreur de ce métier et jétais dégoûtée de tous ces cochons quil faut sucer, branler, à qui il faut faire tant de trucs pour quils jouissent. Cest vrai que lon gagne plus quà lusine, mais du pognon il nen reste pas beaucoup quand même, et en plus, tous les emmerdements que lon a avec les médecins, les flics, les maquereaux, les taulières
». Celle qui écrit ces lignes est Marie-Thérèse, qui sest prostituée pendant la Seconde Guerre mondiale. Auteur de Vie dune prostituée, paru à quatre reprises entre 1947 et 1964 et condamné six fois, elle sentretient longuement avec Nancy Huston dans les années 80. Une certaine complicité sétablit entre la chercheuse et lancienne prostituée qui décrète que, si ce que fait Henry Miller est de la littérature, et bien, elle aussi peut en faire autant, et qui nhésite pas à traiter les éditeurs de maquereaux. Marie-Thérèse a en effet été privée de droits dauteur, quand son texte na pas été carrément amputé de certains passages jugés politiquement gênants ou obscènes. Cest ce texte «apocryphe», comparé au texte officiel et aux fictions érotiques, quétudie Huston.
Mariée, Marie-Thérèse sennuie au foyer. Devenue infirmière, elle découvre les joies du lesbianisme avec des collègues et rencontre celui qui devient son proxénète. Elle se prostitue en France et en Allemagne. La guerre lui permet de comparer lattitude des différents soldats envers les prostituées, ce qui donne lieu à une classification aussi comique que politiquement incorrecte des belligérants (Français, Allemands et Américains, Noirs et Blancs
). Après moult péripéties, Marie-Thérèse reprend son travail dinfirmière, quelle rapproche de façon troublante de celui de prostituée : dans les deux cas, ne sagit-il pas de prendre soin dautrui ? Non seulement Marie-Thérèse ne correspond pas aux stéréotypes en cours sur les prostituées, mais elle ne ressemble pas non plus aux héroïnes fictives des textes érotiques. Victime malheureuse, par vraiment ; femme libre et épanouie, pas tout à fait. Son histoire ne peut convenir ni aux détracteurs ni aux partisans de la pornographie et de la prostitution. Son texte montre bien la complexité du rapport au proxénète, dont elle parvient dailleurs à se débarrasser pendant une période. Si elle a des relations avec des femmes, ce nest pas pour se consoler de la violence des hommes, et si elle les raconte dans le détail, ce nest pas pour exciter son lecteur
mais tout simplement parce que ces femmes lui ont donné du plaisir. Contrairement aux héroïnes de nombre décrits érotiques, elle naime pas le coït anal mais adore le cunnilingus. Elle exprime aussi crûment son désir pour certains hommes que son dégoût envers dautres. Désir, plaisir, souffrance réels dune femme : cest cela, nous dit Huston, qui choque dans ce texte.
En quoi cette expression du ressenti dune femme est-elle si dérangeante ? Dans les romans à leau de rose, la femme est préoccupée par sa capacité de plaire à lhomme ; dans la pornographie, on la voit adopter la position qui lui convient ; dans la prostitution, elle lui fait ce quil lui demande en fonction dun «contrat». Des femmes disponibles, donc. Malléables. Contrairement aux femmes réelles rencontrées dans la vie courante. Contrairement à la mère, à laquelle lhomme étant petit a adressé ce que Huston qualifie de «demande totale», et qui ny a pas répondu. Dans une société où les soins aux enfants sont attribués aux femmes, la première personne qui dirige votre vie, dans les tous premiers mois, ça ne peut être quune femme. La dichotomie entre une maternité non sexuelle (la maman) et une sexualité non maternelle (la putain) nest-elle pas une tentative pour masquer le caractère infantile des productions pornographiques et du recours à la prostitution ? Créer, consommer du porno, faire appel à des prostituées, nest-ce pas une façon pour un homme de régler ses comptes avec sa mère de dominer enfin celle qui la dominé ?
Si le désir féminin est escamoté dans le porno comme dans la prostitution, cest parce quil rappellerait celui de la mère «dévorante». Les femmes daujourdhui, qui clament leur droit au plaisir, nen sont que plus inquiétantes ! Dans ce cas, mieux vaut les considérer comme des choses : le sexe féminin doit être montré, exposé en gros plan, avec une sorte dobjectivité. Le goût du détail règne en effet dans la pornographie Noublions pas que prostituer signifie à lorigine «mettre en devanture». Comme si cela permettait de découvrir les secrets de la femme-mère si menaçante
Bien naïf est donc celui qui imagine que les femmes libérées vont investir le porno, se payer les services de prostitué(e)s, utiliser des hommes ou des femmes comme des objets. A linstar des garçons, elles ont été élevées par des femmes, elles ont donc aussi adressé cette «demande totale» à leurs mères et ont elles aussi des comptes à régler, mais ce mouvement est atténué par la conscience quelles sont des femmes susceptibles à leur tour de devenir mères et de recevoir la «demande totale» dun enfant.
Pour Nancy Huston, ni la maîtrise de la fécondité ni les conquêtes juridiques ne modifieront létat actuel de la pornographie et de la prostitution. Tant que les femmes domineront leurs fils, ils domineront les femmes une fois adultes femmes qui pourront toujours se réfugier dans la domination des enfants, et ainsi de suite
Il convient avant tout de rééquilibrer les activités des femmes et des hommes dans et hors de la famille. Une plus grande présence des femmes dans la sphère dite publique doit saccompagner dun rapprochement des pères de leurs enfants. Afin queux aussi deviennent les destinataires de la «demande totale».
Vingt ans après, où en sommes-nous ? Nombreux sont ceux qui demeurent persuadés que la prise en charge des tout-petits doit rester une affaire de femmes. Cest pourquoi lanalyse de Nancy Huston reste dune grande actualité.
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 15/03/2004 ) Imprimer
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