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Le concept de création comme réponse au néant
George Steiner   Grammaires de la création
Gallimard - NRF Essais 2001 /  20.61 € - 135 ffr. / 430 pages
ISBN : 2-07-075941-5
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"Qui n’a a pas vu l’aube se lever entre les arbres d’une allée ne sait pas ce que c’est que l’espoir", a écrit Bernanos. Justement, pour Steiner, cette fraîcheur, la possibilité de l’espérance, nous les avons perdues. "Ce livre est un in memoriam des futurs perdus. Car "nous sommes des tard venus. Le couvert est débarrassé". Quelques raisons historiques à cela : les messianismes (matérialiste, christique), qui promettaient un futur meilleur, n’ont plus la cote. La science triomphante s’accompagne d’un relativisme qui rend suspect tout discours religieux, scientifique, et même artistique. Dans ces conditions triomphe l’immédiateté, triomphe l’utilité. L’homme se sent superflu, lui qui était habitué à l’idée d’être "à l’image de Dieu", c’est à dire au centre de l’univers. Le constat de Steiner est sans illusions, mais il prévient : ce sont les blessures de la vie qui le poussent à parler ainsi, lui qui est par ailleurs à la fin de la sienne…

Alors, on ferme ? Non, car dans le fond, seule la mort "ferme". Steiner toutefois s’interroge : qu’avons-nous perdu ? Pourquoi ce sentiment "de fin d’après-midi ? Que signifie l’actuelle frénésie de quête des origines, de quête de sens ? Dans ce contexte de fascination pour les origines (qu’il estime morbide, insensée et sans espoir), il se penche sur le concept de création.

Comme réponse au néant. Comme fragile expression du libre arbitre humain. Qu’a à voir la grammaire avec le chaos et l’éternelle question : pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ? Et bien la grammaire, "c’est à dire l’organisation articulée de la perception, de la réflexion et de l’expérience", est la réponse au silence effrayant du vide. On ne peut donc laisser le doute nihiliste la pétrifier ; sinon on court le risque que tout acte créatif ne devienne douteux, impossible, vain. Et donc renoncer à sortir de l’immanence.

En un mot, la technique aurait eu raison de la curiosité qui est pourtant à sa source. La science triomphe, mais sans gloire. La matérialisme nous appauvrit, la chair est triste, en quelque sorte. Nous voilà dans tous les cas loin des Lumières ; Adorno, figure de proue des intellectuels allemands "de gauche" de l’entre-deux-guerres, a livré à ce sujet des réflexions fort pessimistes. Il fut d’ailleurs vertement critiqué pour n’avoir pas cru aux bienfaits de la démocratisation de la culture – que Steiner, de son côté, appelle "culture de masse. Pour le premier, elle est superstructure de la sphère marchande (les Etats-Unis des années 30 en sont le parangon) ; pour le second, matrice de la nouvelle déferlante barbare (les fascismes).

Dès lors, on retiendra de ces penseurs pessimistes, défenseurs d’une conception aristocratique de la culture, leur vision de l’effort qu’implique la pensée ; contre l’immanence extrême de notre horizon, ce rappel voudrait ouvrir à nouveau des perspectives puissantes. Le terme de Grammaires de la création est à ce propos parlant : sans la grammaire, la parole n’est que grognement. De même, l’imagination n’est que dispersion sans capacité à lui donner une forme. Les muses ont leur mot à dire, mais la capacité à incarner (donner chair) l’inspiration n’est rien sans l’adresse de l’artisan. Toujours cette obsession du chaos…

Dans la recherche de l’émotion créatrice, et du doute créateur, les Grammaires de la création se présentent comme un outil de référence. La pensée humaniste de Steiner, avec son fonds de volontarisme "naïf" -on pense au mot d’ordre de Cioran : "réinventons des mythes !", malgré un pessimisme d’affiche, retrouve une force nouvelle, dans cette belle et savante démonstration. Steiner se veut Cassandre, mais si tel était vraiment le cas, pourquoi perdre son temps à écrire ? Au lecteur de juger si cet "In Memoriam" a raison de promettre d’éternels dimanches après-midi sans fin.


Vianney Delourme
( Mis en ligne le 04/07/2001 )
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