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Les images au banc d'essai | | | Serge Tisseron Enfants sous influence 10/18 - Fait et Cause 2003 / 6.40 € - 41.92 ffr. / 205 pages ISBN : 2-264-03781-4 FORMAT : 11 x 18 cm
Antoine Bioy est psychologue hospitalier et
enseignant en psychologie. Il vient de publier Se former à la relation d'aide (Dunod). Imprimer
Serge Tisseron est psychiatre, psychanalyste et enseignant à luniversité de Paris-VII. Auteur prolixe, il nest pas à son premier essai concernant son regard sur les images, ce quelles renvoient, et limpact réel ou prétendu que ces images possèdent sur les spectateurs. Après, entre autres, Le Bonheur dans limage (Les Empêcheurs de penser en rond) et Psychanalyse de limage (Dunod), Serge Tisseron propose ici une réédition de son ouvrage Enfants sous influence, les écrans rendent-ils les jeunes violents ?, trois ans après sa première édition, en format poche cette fois.
Les images sont en effet souvent présumées coupables dune certaine violence chez les jeunes, dont il reste dailleurs à prouver quelle est effective. Lauteur se propose donc ici de relater une expérimentation fort complète autour du triptyque «images, violence, jeunes». Sil ne sagit pas de la première recherche sur ce thème, deux zones dombres subsistaient jusquici : celle de la place de lhistoire personnelle du sujet sur la façon dont il reçoit et interprète une image, et la place exacte de la dynamique des groupes sur les comportements. Autrement dit, Serge Tisseron explore la dimension individuelle mais aussi la dimension collective de limpact des images, leurs mises en acte, notamment dans les reproductions de scènes entre jeunes lors de jeux collectifs (la dimension du «corps» après celui de «la pensée»).
La méthodologie mise en place et relatée est double : entretiens individuels et jeux de rôles entre plusieurs enfants avec une grille dobservation. Ces recueils de données seffectuent après le visionnage dimages «violentes» et «neutres» par les enfants. Cest dailleurs le seul point faible de la méthodologie, puisque lon ne sait comment les expérimentateurs ont sélectionné les images, ni comment leur caractère objectivement «violent» ou «neutre» est attesté. Par ailleurs, on note que les projections de séquences «violentes» sont majoritairement plus longues que celles «neutres», et lon se demande si de fait, elles ne possèdent pas une influence plus importante sur les réponses des enfants. Cela dit, le reste de la méthodologie est suffisamment astucieux et complet pour que lon passe sur ces biais de recherche.
Lintérêt de cet ouvrage est quil fait tomber plusieurs a priori. Ainsi, Serge Tisseron démontre que les images violentes procurent moins de plaisir que les images neutres, et quelles ne déstructurent pas les capacités de pensée des enfants. Il infirme également que les enfants imiteraient dans leur vie ce quils ont vu à lécran, ou quil suffit de les faire parler de ce quils ont vu pour les protéger des effets malfaisants des images. Également, les filles ne sont pas des «éléments pacificateurs» des groupes face aux images violentes (elles expriment juste la violence différemment), et les enfants issus de milieux défavorisés ne sont pas plus suggestibles aux images violentes que les autres, du fait de capacités dexpression langagière moindres. Ces points sont importants, et lon doit reconnaître comme apport premier de cet ouvrage le fait de dinvalider scientifiquement ces croyances pourtant communes.
Pour autant, on regrette que ce livre ne donne pas lieu à des apports théoriques nouveaux dans le domaine de la psychologie. En effet, sans vraiment le dire, lauteur ne fait que reprendre le concept bien connu du traumatisme psychologique, sa gestion et ses possibles conséquences, quil applique au domaine des images. Oui, une image est potentiellement traumatique, comme peut lêtre tout événement de vie, et oui, ce qui va déterminer son caractère traumatique nest pas limage en soi mais la façon dont le sujet va la recevoir, fonction de son histoire antérieure et de ses capacités à faire face psychologiquement. Rien de bien neuf dans ce domaine, et un connaisseur des écrits psychologiques sur le thème du traumatisme (à commencer par ce quen a dit Freud) ne trouvera pas son compte dans la lecture de cet ouvrage, tant lanalyse faite est peu novatrice dans ce domaine.
Il en découle que louvrage se termine par des «conseils éducatifs» qui frôlent non seulement la caricature théorique, mais aussi limpossibilité pratique de leur réalisation. Lauteur préconise ainsi une aide pour que les enfants apprennent à gérer leurs traumatismes antérieurs à une image qui y fait écho, que les instituteurs aident les enfants à mettre des mots sur ce quils ont vu et ressenti et enfin que chacun soit attentif aux expressions non verbales dun vécu intérieur qui ne peut se dire, comme la honte et langoisse. Ces conseils, dont on espère quils ne sont issus que de la nécessité de renvoyer la balle aux financiers publics de létude, donnent schématiquement : tous les enfants chez le psy pour régler les traumatismes de lenfance, et faisons entrer la psy dans les écoles
La place de lenfant, sa maturation personnelle, sa richesse intérieure, faite aussi dexpériences négatives, sont ici balayées. Quid ici de la différence entre normal et pathologique ? Doit-on considérer que tout traumatisme est nuisible et que pour la salubrité psychique de tous, il est bon de balayer tout ce qui serait éventuellement dérangeant pour son équilibre à venir ? Cest oublier un peu vite le travail du temps, et les remaniements psychiques constants qui savent parfois donner une place aussi importante que stable aux événements dits «traumatiques», sans encadrement particulier.
Il reste que Enfants sous influence de Serge Tisseron est un ouvrage intéressant, car il démonte scientifiquement bon nombre de préjugés autour des images et leur traitement. On regrette juste le faible apport théorique, et que cet ouvrage soit tombé dans le piège classique du désir de généraliser ce qui relève dune gestion individuelle, avec des «conduites à tenir» inopportunes qui tranchent avec lintelligence de pensée de lauteur.
Antoine Bioy ( Mis en ligne le 19/10/2003 ) Imprimer | | |
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