L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Littérature  ->  
Rentrée Littéraire 2021
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies, Mémoires & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Classique
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Littérature Américaine
Divers
Entretiens

Notre équipe
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Littérature  ->  Romans & Nouvelles  
 

Alias Pierre Goldman
Dominique Perrut   Patria o muerte
Denoël 2010 /  25 € - 163.75 ffr. / 560 pages
ISBN : 978-2-207-25931-3
FORMAT : 14cm x 20cm

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.
Imprimer

Le roman Patria o muerte de Dominique Perrut pose question, et sans doute n’a-t-il pas provoqué le débat qu’il méritait, sa publication ayant été passée sous silence par une certaine grande presse. Pas d’article dans Le Monde ni dans Libé (en tout cas aucune référence sur leurs sites respectifs) concernant ce pavé de 560 pages où est cependant mise en cause une figure emblématique de l’extrême gauche et de la génération post-soixante-huitarde : Pierre Goldman.

Est-il nécessaire de revenir sur cette sombre affaire, qui agita les esprits dans les années 70 et fut même considérée comme une nouvelle Affaire Dreyfus ? En résumé, Pierre Goldman, demi-frère du célèbre Jean-Jacques, communiste militant et soldat de la guérilla vénézuelienne, réfugié à Paris, fut accusé d’avoir abattu froidement, lors d’un braquage en septembre 1969, deux pharmaciennes du Boulevard Richard Lenoir. Reconnu d’abord coupable, Goldman devint rapidement une véritable icône de l’intelligentsia marxiste et existentialiste, au point qu’il s’attira les amitiés pétitionnaires d’acteurs (Simone Signoret), d’artistes (Le Forestier) ou de philosophes (Guattari, Sartre, Debray). Le seul fait, à l’époque, de se déclarer persuadé de sa culpabilité, suffisait parfois à être rangé du côté des tortionnaires policiers, des antisémites, des adulateurs de l’ordre, bref des fascistes. Le premier jugement ayant été cassé, Goldman sera finalement innocenté de son double meurtre, mais pourtant renvoyé en cellule pour de petits larcins où sa culpabilité était évidente. Il profitera de sa réclusion pour écrire deux livres à résonances autobiographiques et, une fois sa peine purgée, intègrera les comités de rédaction des prestigieux Temps Modernes et du quotidien Libération. En septembre 1979, il s’écroule sous les balles d’un commando de tueurs qui revendiqueront leur appartenance à un groupuscule d’extrême droite, «Honneur de la police». Les véritables ressorts de cet attentat restent cependant flous.

Écrire un roman sur Goldman – ou en tout cas un livre dont il serait l’un des principaux protagonistes – est, on le voit, un exercice périlleux, non seulement parce que de nombreux témoins de l’époque sont toujours en vie, mais surtout parce que sous-entendre que cet homme n’était finalement qu’un activiste pseudo-révolutionnaire devenu gangster à la petite semaine et aux mains sales, c’est réévaluer tout le jugement d’une catégorie de la société française très susceptible quant à son bon droit et à la pénétration de ses vues, à savoir les Intellectuels.

Selon Perrut, la culpabilité de Goldman ne fait aucun doute. Son livre tend à démontrer qu’on avait affaire là à un imposteur, un truand incontrôlable, enfin – et c’est peut-être le seul talent qu’on peut lui prêter en somme – à un très habile manipulateur des individus comme de l’opinion.

Goldman n’occupe cependant pas l’essentiel du récit de Perrut, et il serait un peu triste de ne ramener son texte qu’à une réécriture de ce ténébreux épisode des annales judiciaires. La quatrième de couverture nous annonce un roman polyphonique ; peut-être serait-il plus juste de parler ici de roman «polychronique», car la voix du narrateur ne change pas, elle est juste saisie à différents moments de sa vie, et tente de ressusciter le «fantôme» qu’il était dans sa jeunesse. Le lecteur évolue donc dans l’histoire du double de Perrut, Frédéric (clin d’œil au personnage principal de L’Éducation sentimentale de Flaubert ?). Trois niveaux diégétiques cohabitent : celui des carnets où il évoque sa rencontre, sa relation mouvementée et sa douloureuse rupture avec la belle cubaine Marina ; un moment plus contemporain à la rédaction du livre lui-même, situé entre 2004 et 2009 ; enfin, une narration à la troisième personne, surplombant les deux précédentes stases, mais dont on s’aperçoit, dans la deuxième partie, qu’elle appartient bien à Frédéric.

Une structure complexe, donc, qui pourrait à tout moment verser dans les failles de l’incohérence et de l’ennui. Pourtant, la première partie du roman est «emballante». Perrut nous replonge comme personne dans l’atmosphère des petits milieux gauchistes, animés par des exilés du régime castriste, des guévaristes hâbleurs planifiant les lendemains qui chantent à l’ombre de la Tour Eiffel, des révolutionnaires à deux balles – parfois plus quand ils viennent à manquer d’argent. Beaucoup de ses personnages secondaires ont une véritable consistance et c’est un tour de force que de dépeindre avec tant de justesse cette époque bouillonnante et la faune qui la hantait.

Hélas, la déception point et va se confirmant lorsque l’on passe à la deuxième partie de Patria o muerte, non pas, comme certains l’ont écrit, à cause de la longueur du texte, mais bien de certains partis pris narratifs. Alors que dans les 250 premières pages, on avait assisté à l’émergence d’une petite frappe dissimulée sous des oripeaux de guérillero, le reste de l’ouvrage ressemble plutôt à une investigation, assez grossièrement travestie en littérature, sur la destinée anthume et posthume de Goldman. Perrut a déclaré dans quelques interviews avoir délibérément recouvert d’un «voile fictionnel» les faits et les débats suscités par le procès. L’effet obtenu n’est pas des plus convaincants, et la raison principale tient sans doute à la dissimulation maladroite derrière des pseudonymes parfois anagrammatiques des acteurs principaux de l’affaire. Pierre Goldman est, depuis le début de l’histoire, rebaptisé André Karayan. Dans le deuxième volet, les alias pleuvent. Son avocat Maître Kiejmann devient Briegman, Régis Debray / Roger Le Bris, Mesrine / Riesnem, etc.; Le Monde est Le Globe et Libération, Résister. Le Boulevard Richard-Lenoir, où a eu lieu la tuerie, devient La Tombe-Issoire. Jusqu’aux titres des livres de Goldman ou de ses thuriféraires sont réinventés.

Le propre des romans-à-clefs, surtout quand ils ont pour moteur l’ironie comme dans la tradition satirique, est de constituer une espèce de jeu d’identification où le lecteur se plaît à deviner qui se cache derrière tel masque patronymique ou tel caractère. Ici, les personnages évoqués sont trop évidents pour prêter à confusion ou à doute. En outre, quelle est la limite de l’exercice ? Page 437, Raymond Aron apparaît sous son vrai nom et Perrut est bien obligé de dire qu’il s’oppose à Sartre, que l’auteur se plaît à appeler «Tertre» partout ailleurs. C’est à de tels endroits que le vernis se fissure.

Le problème du recours à cet artifice entache surtout la dynamique générale de l’écriture. On passe en effet d’un récit mettant en scène avec brio des relations interpersonnelles difficiles, rendues encore plus complexes par le cadre sociologique où elles se situent, et qui perdent de leur densité lorsque le romancier fait état de son enquête, basée sur des consultations d’archives, des conversations, des recueils de témoignages directs. Un no man’s land s’installe entre réalité et fiction. Le style s’en ressent, qui de très nuancé au départ, devient plus sec, plus journalistique que réellement littéraire. On a parfois l’impression de lire la transcription d’une émission de type «Faites entrer l’accusé», avec détails procéduriers, rebondissements, constats psychologiques, coups d’éclats médiatiques, images d’époque, etc., mais dont la plupart des noms seraient volontairement faussés ! C’est bien écrit, certes, mais cela ne décolle plus.

Un autre facteur dérange un peu dans ce texte, et c’est la posture du narrateur, identifié à la fois au personnage de Frédéric et à Perrut lui-même, réaffirmant à différents moments son travail comme dangereux, risqué, scandaleux, voué à être mal reçu et critiqué. Les potentiels détracteurs du livre se sont jusqu’à présent apparemment tus ; saura-t-on jamais si c’est parce qu’ils mesurent a posteriori et avec frustration leurs errements sur «saint Goldman» ou si c’est parce qu’ils jugent l’exercice de Perrut insignifiant, désamorcé d’avance par ses prudentes dissimulations ? En somme, l’audace déployée apparaît comme une pose très «parisienne», destinée à émouvoir un petit milieu qui réagit au final avec la seule arme dont il dispose, c’est-à-dire le mépris. Passé l’enceinte de Lutèce – voire de Saint-Germain-des-Prés tout court – le roman parlera peu au lectorat du vaste monde. C’est d’autant plus dommage que le fiasco amoureux, la décomposition du couple et le caractère de Marina «la morena» sont eux magnifiquement traités et atteignent souvent à l’universel des désillusions sentimentales et des ravages de la passion.

Patria o muerte sonne donc en définitive comme un rendez-vous manqué, ou plutôt, à l’inverse, comme ces opportunités de rencontres qui se présentent à vous par deux, au même moment, et entre lesquelles vous ne savez laquelle choisir, tant elles sont l’une et l’autre tentantes. Ici, la littérature et l’enquête-vérité cheminent bras dessous bras dessous, le fard de l’une déteignant sous la perruque de l’autre. Vous aimeriez alors qu’il vous soit proposé un troisième choix, pour échapper à l’embarrassant dilemme…


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 20/08/2010 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd