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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Dominique Perrut Patria o muerte Denoël 2010 / 25 € - 163.75 ffr. / 560 pages ISBN : 978-2-207-25931-3 FORMAT : 14cm x 20cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Le roman Patria o muerte de Dominique Perrut pose question, et sans doute na-t-il pas provoqué le débat quil méritait, sa publication ayant été passée sous silence par une certaine grande presse. Pas darticle dans Le Monde ni dans Libé (en tout cas aucune référence sur leurs sites respectifs) concernant ce pavé de 560 pages où est cependant mise en cause une figure emblématique de lextrême gauche et de la génération post-soixante-huitarde : Pierre Goldman.
Est-il nécessaire de revenir sur cette sombre affaire, qui agita les esprits dans les années 70 et fut même considérée comme une nouvelle Affaire Dreyfus ? En résumé, Pierre Goldman, demi-frère du célèbre Jean-Jacques, communiste militant et soldat de la guérilla vénézuelienne, réfugié à Paris, fut accusé davoir abattu froidement, lors dun braquage en septembre 1969, deux pharmaciennes du Boulevard Richard Lenoir. Reconnu dabord coupable, Goldman devint rapidement une véritable icône de lintelligentsia marxiste et existentialiste, au point quil sattira les amitiés pétitionnaires dacteurs (Simone Signoret), dartistes (Le Forestier) ou de philosophes (Guattari, Sartre, Debray). Le seul fait, à lépoque, de se déclarer persuadé de sa culpabilité, suffisait parfois à être rangé du côté des tortionnaires policiers, des antisémites, des adulateurs de lordre, bref des fascistes. Le premier jugement ayant été cassé, Goldman sera finalement innocenté de son double meurtre, mais pourtant renvoyé en cellule pour de petits larcins où sa culpabilité était évidente. Il profitera de sa réclusion pour écrire deux livres à résonances autobiographiques et, une fois sa peine purgée, intègrera les comités de rédaction des prestigieux Temps Modernes et du quotidien Libération. En septembre 1979, il sécroule sous les balles dun commando de tueurs qui revendiqueront leur appartenance à un groupuscule dextrême droite, «Honneur de la police». Les véritables ressorts de cet attentat restent cependant flous.
Écrire un roman sur Goldman ou en tout cas un livre dont il serait lun des principaux protagonistes est, on le voit, un exercice périlleux, non seulement parce que de nombreux témoins de lépoque sont toujours en vie, mais surtout parce que sous-entendre que cet homme nétait finalement quun activiste pseudo-révolutionnaire devenu gangster à la petite semaine et aux mains sales, cest réévaluer tout le jugement dune catégorie de la société française très susceptible quant à son bon droit et à la pénétration de ses vues, à savoir les Intellectuels.
Selon Perrut, la culpabilité de Goldman ne fait aucun doute. Son livre tend à démontrer quon avait affaire là à un imposteur, un truand incontrôlable, enfin et cest peut-être le seul talent quon peut lui prêter en somme à un très habile manipulateur des individus comme de lopinion.
Goldman noccupe cependant pas lessentiel du récit de Perrut, et il serait un peu triste de ne ramener son texte quà une réécriture de ce ténébreux épisode des annales judiciaires. La quatrième de couverture nous annonce un roman polyphonique ; peut-être serait-il plus juste de parler ici de roman «polychronique», car la voix du narrateur ne change pas, elle est juste saisie à différents moments de sa vie, et tente de ressusciter le «fantôme» quil était dans sa jeunesse. Le lecteur évolue donc dans lhistoire du double de Perrut, Frédéric (clin dil au personnage principal de LÉducation sentimentale de Flaubert ?). Trois niveaux diégétiques cohabitent : celui des carnets où il évoque sa rencontre, sa relation mouvementée et sa douloureuse rupture avec la belle cubaine Marina ; un moment plus contemporain à la rédaction du livre lui-même, situé entre 2004 et 2009 ; enfin, une narration à la troisième personne, surplombant les deux précédentes stases, mais dont on saperçoit, dans la deuxième partie, quelle appartient bien à Frédéric.
Une structure complexe, donc, qui pourrait à tout moment verser dans les failles de lincohérence et de lennui. Pourtant, la première partie du roman est «emballante». Perrut nous replonge comme personne dans latmosphère des petits milieux gauchistes, animés par des exilés du régime castriste, des guévaristes hâbleurs planifiant les lendemains qui chantent à lombre de la Tour Eiffel, des révolutionnaires à deux balles parfois plus quand ils viennent à manquer dargent. Beaucoup de ses personnages secondaires ont une véritable consistance et cest un tour de force que de dépeindre avec tant de justesse cette époque bouillonnante et la faune qui la hantait.
Hélas, la déception point et va se confirmant lorsque lon passe à la deuxième partie de Patria o muerte, non pas, comme certains lont écrit, à cause de la longueur du texte, mais bien de certains partis pris narratifs. Alors que dans les 250 premières pages, on avait assisté à lémergence dune petite frappe dissimulée sous des oripeaux de guérillero, le reste de louvrage ressemble plutôt à une investigation, assez grossièrement travestie en littérature, sur la destinée anthume et posthume de Goldman. Perrut a déclaré dans quelques interviews avoir délibérément recouvert dun «voile fictionnel» les faits et les débats suscités par le procès. Leffet obtenu nest pas des plus convaincants, et la raison principale tient sans doute à la dissimulation maladroite derrière des pseudonymes parfois anagrammatiques des acteurs principaux de laffaire. Pierre Goldman est, depuis le début de lhistoire, rebaptisé André Karayan. Dans le deuxième volet, les alias pleuvent. Son avocat Maître Kiejmann devient Briegman, Régis Debray / Roger Le Bris, Mesrine / Riesnem, etc.; Le Monde est Le Globe et Libération, Résister. Le Boulevard Richard-Lenoir, où a eu lieu la tuerie, devient La Tombe-Issoire. Jusquaux titres des livres de Goldman ou de ses thuriféraires sont réinventés.
Le propre des romans-à-clefs, surtout quand ils ont pour moteur lironie comme dans la tradition satirique, est de constituer une espèce de jeu didentification où le lecteur se plaît à deviner qui se cache derrière tel masque patronymique ou tel caractère. Ici, les personnages évoqués sont trop évidents pour prêter à confusion ou à doute. En outre, quelle est la limite de lexercice ? Page 437, Raymond Aron apparaît sous son vrai nom et Perrut est bien obligé de dire quil soppose à Sartre, que lauteur se plaît à appeler «Tertre» partout ailleurs. Cest à de tels endroits que le vernis se fissure.
Le problème du recours à cet artifice entache surtout la dynamique générale de lécriture. On passe en effet dun récit mettant en scène avec brio des relations interpersonnelles difficiles, rendues encore plus complexes par le cadre sociologique où elles se situent, et qui perdent de leur densité lorsque le romancier fait état de son enquête, basée sur des consultations darchives, des conversations, des recueils de témoignages directs. Un no mans land sinstalle entre réalité et fiction. Le style sen ressent, qui de très nuancé au départ, devient plus sec, plus journalistique que réellement littéraire. On a parfois limpression de lire la transcription dune émission de type «Faites entrer laccusé», avec détails procéduriers, rebondissements, constats psychologiques, coups déclats médiatiques, images dépoque, etc., mais dont la plupart des noms seraient volontairement faussés ! Cest bien écrit, certes, mais cela ne décolle plus.
Un autre facteur dérange un peu dans ce texte, et cest la posture du narrateur, identifié à la fois au personnage de Frédéric et à Perrut lui-même, réaffirmant à différents moments son travail comme dangereux, risqué, scandaleux, voué à être mal reçu et critiqué. Les potentiels détracteurs du livre se sont jusquà présent apparemment tus ; saura-t-on jamais si cest parce quils mesurent a posteriori et avec frustration leurs errements sur «saint Goldman» ou si cest parce quils jugent lexercice de Perrut insignifiant, désamorcé davance par ses prudentes dissimulations ? En somme, laudace déployée apparaît comme une pose très «parisienne», destinée à émouvoir un petit milieu qui réagit au final avec la seule arme dont il dispose, cest-à-dire le mépris. Passé lenceinte de Lutèce voire de Saint-Germain-des-Prés tout court le roman parlera peu au lectorat du vaste monde. Cest dautant plus dommage que le fiasco amoureux, la décomposition du couple et le caractère de Marina «la morena» sont eux magnifiquement traités et atteignent souvent à luniversel des désillusions sentimentales et des ravages de la passion.
Patria o muerte sonne donc en définitive comme un rendez-vous manqué, ou plutôt, à linverse, comme ces opportunités de rencontres qui se présentent à vous par deux, au même moment, et entre lesquelles vous ne savez laquelle choisir, tant elles sont lune et lautre tentantes. Ici, la littérature et lenquête-vérité cheminent bras dessous bras dessous, le fard de lune déteignant sous la perruque de lautre. Vous aimeriez alors quil vous soit proposé un troisième choix, pour échapper à lembarrassant dilemme
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/08/2010 ) Imprimer | | |
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