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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Yann Kerlau L’Echiquier de la reine Plon 2010 / 23.90 € - 156.55 ffr. / 612 pages ISBN : 978-2-259-21255-7 FORMAT : 14,2cm x 22,7cm Imprimer
La reine Christine de Suède (1626-1689) apparaît toujours comme une figure secondaire, que lon cite au détour dune phrase ou dun raisonnement, à propos des relations quelle a entretenues avec Descartes ou encore de son abdication liée à une conversion au catholicisme dans le détail de laquelle on nentre guère. Elle demeure aussi pour léternité des cinéphiles associée à la figure de Greta Garbo dans le film de Rouben Mamoulian (1933, La Reine Christine). Désormais la reine Christine devient, grâce à Yann Kerlau, un personnage de roman et dhistoire tout à la fois. Difficile de qualifier cet épais ouvrage de 605 pages (mais avec une typographie large) : demblée Yann Kerlau, auteur douvrages historiques (Cromwell, 1989 ; Les Aga Khan, 2004), a choisi le genre du roman pour aborder Christine de Suède, à qui il décide de prêter la parole en sabritant derrière le genre littéraire des mémoires.
Cest donc à la première personne que la reine Christine sadresse au lecteur. «Cétait un fait : jaimais les honneurs, les noms qui fleuraient lhistoire, le tumulte des canonnades». Et l'on suit, fasciné, les aventures de cette fille unique du roi Gustave Adolphe, roi dune Suède qui fait le choix de la Réforme protestante, roi soldat qui meurt à la bataille de Lützen (1632), laissant son royaume à la régence dune épouse quil nappréciait guère, et dune enfant. La Suède est alors très aux marges dune Europe qui émerge des troubles du XVIe siècle, troubles religieux et politiques, en retard aussi sur des modes et des initiatives culturelles qui viennent dItalie.
Yann Kerlau campe avec verve Christine, qui signera toujours ses lettres Christine Alexandrine, Reine de Suède. Une forte personnalité, cest le moins quon puisse en dire ! Qui ne se satisfait pas - loin de là - du rang secondaire auquel pourrait la contraindre son sexe au début du XVIIe siècle. Débarrassée dune mère qui a tenté de la tuer pour régner, Christine abandonne aussi sa religion - le protestantisme -, et du même coup sa couronne ! Son abdication en 1654, coup de génie de la diplomatie pontificale, lié à la séduction quont su exercer les jésuites, en fait une héroïne des cours catholiques européennes du XVIIe siècle ; après une conversion habilement mise en scène à Innsbruck, dans les domaines de lEmpire, elle sinstalle à Rome où très vite ses manières
cavalières lui aliènent la bonne société et indisposent fortement le Saint Siège. Christine est incontrôlable sur tous les plans, aussi bien financiers et diplomatiques que dans le cadre de sa vie personnelle. Elle franchit avec audace toutes les frontières, avec audace mais pas toujours avec le jugement quon aurait pu attendre dune lectrice passionnée des auteurs antiques, dune disciple des philosophes, dune intellectuelle avant lheure. Yann Kerlau se plaît à dresser ce portrait dune femme qui se veut libérée ; un portrait haut en couleurs qui tient autant à notre XXIe siècle quau XVIIe siècle auquel appartient son héroïne : le romancier a toutes les libertés, là où lhistorien est contraint par les faits
LEchiquier de la reine, un titre à double sens : jeu déchecs dans lequel la reine est une pièce majeure... ou cet échiquier appartient-il à la reine ? Est-il celui sur lequel elle joue avec maestria lart de sa vie, en déplaçant tels des pions ses interlocuteurs, partenaires et adversaires ? Qui joue ? Et de qui ? Pour quels enjeux ? Yann Kerlau entrecoupe les Mémoires de sa reine de commentaires des personnages secondaires qui éclairent de façon différente les mobiles de la souveraine, et contribuent à la complexité du personnage. On peut au choix voir dans Christine une intellectuelle, une femme laide, une amoureuse passionnée du sexe davantage sans doute que des homme et des femmes qui lentourent, une femme puissante qui se moque des convenances mais sait très bien où est sa position sociale supérieure
une rouée ou une naïve ; dune certaine façon, elle appartient davantage au XVIe siècle, cette époque de tous les possibles, qu'au XVIIe siècle qui vite naître et saffronter baroque et classicisme ; indubitablement de ce siècle, elle choisit sans réserves la part baroque, les sculptures du Bernin, très loin dun classicisme quelle aime et admire chez Racine ou dans le Tartuffe de Molière. Elle passa une partie de sa vie sur les routes, dune cour à lautre, accueillant dans lAcadémie quelle fonde à Rome Leibniz, Halley et tant dautres savants, allant rendre visite à Spinoza après avoir reçu Descartes.
Un livre quon na pas envie de lâcher dès quon la ouvert, qui permet de se replonger dans les tumultes dune époque charnière doù a émergé le monde moderne.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 10/09/2010 ) Imprimer | | |
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