| Eugène Nicole L'Oeuvre des mers L'Olivier 2011 / 26 € - 170.3 ffr. / 941 pages ISBN : 978-2-87929-651-7 FORMAT : 14,5cm x 22cm Imprimer
Les éditions de lOlivier publient en un seul volume les trois parties publiées séparément (LOeuvre des mers et Les Larmes de pierre, F. Bourin, 1988 et 1991 ; Le Caillou de lEnfant-Perdu, Flammarion, 1996), qui avaient déjà fait lobjet dune édition sous le titre LOeuvre des mers en 2003 avec une quatrième partie inédite : La Ville sous son jour clair. Sous le même titre aujourdhui sajoute une cinquième partie : LAdieu au long cours. Pour ceux qui ne lont pas encore lu, cest loccasion de découvrir un texte foisonnant, une uvre ambitieuse et fascinante. Pour les autres, qui lont aimé : un nouveau chapitre !
Neuf-cent pages qui se lisent dune traite, et qui entraînent le lecteur de SaintPierre-et-Miquelon vers le reste du monde en de multiples allers et retours. Un récit denfance perdue et jamais oubliée, qui donne sa couleur au reste de la vie du narrateur. Une vie qui sécoule loin de Saint-Pierre-et-Miquelon, vers la métropole, un internat calamiteux en Vendée puis Paris, puis New York
Saint-Pierre-etMiquelon lîlot oublié, inconnu de tous y compris de la métropole : à lépoque du service militaire, ses jeunes hommes ne sont pas convoqués, le courrier parvient de façon aléatoire
. Mais à Paris, ses exilés noublient jamais, tels les cousins accueillants du narrateur.
Somme toute, la question centrale est : le monde a-t-il des horizons aussi vastes que ceux du minuscule îlot de départ ? Et de sa vie, le narrateur fait-il mieux que Louise et Sophie qui chaque jour arpentent les dix kilomètres de lîle, rencontrant Delphine et Adélaïde qui en font autant deux fois par jour. Marcheuses obsessionnelles, celles-ci accomplissent un vu prononcé jadis par une nuit de tempête, rejointes parfois par une cinquième, Gabie, qui cherche désespérément son fils disparu, Clément, surnommé Coco-Bel-il. Dès les premières pages, ces cinq femmes aux destins divers annoncent dune certaine façon la suite, limpossibilité de «vraiment» quitter lîle, loubli interdit, lerrance.
Un «caillou» de terre française, aux fins fonds de lAtlantique, face au continent nord-américain : une position que lHistoire a faite étrange. LHistoire est en effet souvent présente, qui sinvite ou est convoquée par cette micro-société qui nécessairement, dans son repli obligé -, ré-alimente en permanence ses souvenirs. «Cest en peu de mots, du reste, quil faut raconter ces histoires de lîle microscopique, ces insipides petits faits vrais que la nuit descelle de leur gangue, mais qui sont logés, le jour, à lenseigne de la pierre, dans le socle du perron, dans ses degrés de ciment». Peu de mots, beaucoup de pages sans doute, mais une grande économie de moyens pour construire un récit-univers qui revient et repart sans arrêt, simpose de façon obsédante.
La dernière partie, inédite, est un bel hommage au père, à sa presque maladive «discrétion», à limpossibilité à connaître ses proches, terme presque paradoxal : «Son absence est presque plus profonde que sa présence et il y a des scènes dont je nai pas besoin de le gommer pour le deviner au plus près de lui-même dans ce mélange de circonspection et dironie qui composait son refuge. (...) Ainsi, parlant de lui, suis-je tenté de mettre partout des points dinterrogation, de me demander si je ne confonds pas avec un autre qui serait peut-être moi
Mais je ne crois pas».
Eugène Nicole, né à Saint-Pierre-et-Miquelon, après des études supérieures à Paris (Sorbonne, Institut dEtudes Politiques), a mené une carrière universitaire aux Etats-Unis ; il est actuellement professeur à luniversité de New York et spécialiste de littérature française et de Proust (dont il est un des éditeurs dans la Pléiade). On aurait envie de faire le rapprochement entre luvre des mers et la Recherche. Lanalogie est certes trop facile même si elle est tentante
Eugène Nicole a sa propre écriture, son propre univers qui mérite dêtre découvert
Une uvre dans laquelle on simmerge et qui gagne à être lue par longs moments.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 04/05/2011 ) Imprimer | | |