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Luise (et Céline) au pays des merveilles
Céline Minard   So Long, Luise
Denoël 2011 /  17 € - 111.35 ffr. / 218 pages
ISBN : 978-2-207-11136-9
FORMAT : 14cm x 20,5cm
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Il est bien difficile de suivre Céline Minard. Celle qui s’est imposée comme l’une des romancières les plus originales de la dernière décennie n’a de cesse d’explorer des sortes de terra incognita littéraires, tout en conservant une exigence poétique rare. Après une variation autour de Rousseau (R.), un roman d’anticipation (Le Dernier monde), un récit rabelaiso-tarantinesque (Bastard Battle) et un monologue imprécatoire (Olimpia), bien malin celui qui aurait pu prédire ce qu’allait être son nouveau texte.

Ce dernier s’intitule donc So long, Luise : titre anglophone étrange, qui se place au seuil d’un récit qui ne l’est pas moins. Il s’agit en l’occurrence du monologue testamentaire rédigé par une vieille écrivaine à succès et adressé à celle qu’elle a follement aimée et avec qui elle a vécu pendant plusieurs décennies : Luise, une artiste-peintre. Le testament consiste moins en un texte directif, désignant des légataires (il n’y en a qu’une, bien sûr : Luise), qu’en une remémoration en coq-à-l’âne des folles années de ce couple. Il faut dire que Luise et XXX, la narratrice, ont décidé, pendant tout ce temps, d’intensifier continûment leur existence et de jouir du monde. Sensualité, sexualité, plaisirs de bouche, alcools, sabotages de relations sociales et d’événements mondains : rien n’a échappé à leur frénésie de liberté et à leur énergie décapante. Autour d’elles, les pâles figures du monde de l’art et des lettres tentent de suivre ce rythme trépidant.

Disons-le tout net : le roman déroute, notamment par son absence de narration suivie. Il passe d’un souvenir à un autre en quelques mots, sans souci chronologique ; il bifurque, «rhizomatise». La chose se complique d’autant plus que le merveilleux se met subitement à intervenir, sous la forme de nains barbus, pixies, gnomes, trolls, oiseaux magiques et consorts. XXX et Luise, amoureuses des forêts et des étangs, ne sont pas déstabilisées outre mesure par ses apparitions. Au contraire, ces peuplades étonnantes subissent bien souvent, comme les humains, le souffle tourbillonnant du couple. So long, Luise n’est donc pas seulement un chant d’amour doublé d’un trépidant récit de vie, c’est également un conte, avec ses trappes mystérieuses qui nous plongent dans des mondes étranges. Mais ces trappes et autres coffres magiques mènent également – et surtout – aux livres.

L’épaisseur intertextuelle, qu’on avait pu constater dans les précédents textes de Céline Minard, est à nouveau présente : Lewis Caroll, François Villon, la littérature anglaise du début du vingtième siècle, Gertrude Stein qui sait, et peut-être même le Gide des Nourritures terrestres pour les descriptions sensualistes et gourmandes de la campagne. Ajoutez un zeste de littérature punk et rock, voire trash. Vous obtenez une sorte de miscellanées, accumulant les ruptures de tons, de registres et même de langues (ancien français, français, anglais). On pourrait aisément parler de «récit poétique» (selon la notion forgée par J.-Y. Tadié), tant le signifiant semble valoir pour lui-même, tant la matière textuelle exhibe sa splendeur et ses richesses constamment surprenantes.

Luise, c’est tout à la fois une femme incroyable et la littérature elle-même (Lu-ise ?) : les deux se dévorent, réclament l’étreinte fougueuse et débridée, le don de soi. Les deux sont une seule et même expérience : «[…] il s’agissait essentiellement d’arriver à ces Zones Magiques qui n’émergent que de la confrontation entre un texte et son expérience source, qu’elle soit ou non elle-même textuelle» (p.110). Le corps charnel finira de toute manière en corps textuel. À partir de là, comment démêler le réel du fictif, l’attesté du rêvé, la chose du mot, les êtres de chair des êtres de papier, la «grammaire» du «glamour» (p.215) ? La question n’est plus pertinente ici ; demeure seulement une expérience continuelle, finalement peu éloignée de l’esprit surréaliste : l’avide recherche de la merveille, la provocation et l’irrespect des normes du bon goût.

L’objectif ultime de Céline Minard semble être de créer une réversibilité absolue entre la matière et les mots, le monde et le livre. On peut trouver le chemin emprunté insensé, confus, trop incongru. On peut s’étonner qu’une des écritures les plus exceptionnelles et les plus densément poétiques de la littérature française contemporaine ne soit pas davantage «canalisée» par un récit moins trublionesque, là où Bastard Battle et Olimpia gagnaient en intensité grâce à leur concentration et à leur unité. Une phrase nous fait chavirer, la suivante nous agace. C’est à prendre ou à laisser : c’est aussi, pour le lecteur lui-même, ''une expérience''. Comme le dit la narratrice : «Fuck the purists and their self-sufficiency».


Fabien Gris
( Mis en ligne le 12/10/2011 )
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