L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Littérature  ->  
Rentrée Littéraire 2021
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies, Mémoires & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Classique
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Littérature Américaine
Divers
Entretiens

Notre équipe
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Littérature  ->  Romans & Nouvelles  
 

Doux bégaiement
Richard Millet   La Fiancée libanaise
Gallimard - Blanche 2011 /  20 € - 131 ffr. / 353 pages
ISBN : 978-2-07-013404-5
FORMAT : 14,2cm x 20,4cm
Imprimer

On ne peut que comprendre l’agacement suscité par les récentes publications de Richard Millet. Ce dernier est parvenu au fil de ses ouvrages à se créer un personnage littéraire antipathique, s’autoproclamant dernier grand écrivain de langue française opposé à la décadence d’un Occident déchristianisé. Richard Millet ne cesse de provoquer le public par ses considérations politiques difficilement cautionnables (la plus délicate étant certainement son magnifique récit de la guerre du Liban, La Confession négative). Il agace lorsqu’il se définit comme un artiste provincial et solitaire rejeté par les mondanités parisiennes, un autoportrait difficilement conciliable avec son travail d’éditeur chez Gallimard. (Mal)heureusement, Richard Millet échappe presque toujours au ridicule grâce à un style admirable.

Dans La Fiancée libanaise, Richard Millet se livre une nouvelle fois au jeu de l’autofiction, en reprenant l’identité de Pascal Bugeaud, déjà aperçu notamment dans Ma Vie parmi les ombres. Il se rend une nouvelle fois dans son village natal du Limousin, Siom, pour y rencontrer une jeune étudiante libanaise qui étudie la place des femmes dans l’ensemble de son œuvre. L’écrivain feint tout d’abord d’être effrayé à l’idée de se livrer à cette inconnue, puis retient l’étudiante des nuits entières à lui raconter les moindres détails de sa vie sentimentale. On retrouve dans ces récits les obsessions des précédents ouvrages pour les femmes, le catholicisme et la langue française, ainsi que les descriptions de son enfance limousine ; cependant, l’originalité du procédé narratif (l’écrivain racontant sa vie à l’étudiante) permet ici de voyager à travers les pays (France, Suède ou Liban) et les époques, proposant ainsi une réflexion sur le temps et les fluctuations de la mémoire affective.

Son rapport aux femmes et au désir qu’elles parviennent à susciter (thème majeur de L’Amour mendiant) est une nouvelle fois décrit dans toute sa puissance et sa médiocrité ; le narrateur est un obsédé sexuel (sauf qu’à la différence de la majorité des lecteurs, il parvient très souvent à ses fins, en partie grâce à sa notoriété littéraire), hanté depuis son enfance et le départ de sa mère par l’abandon de la moindre femme conquise. On comprend ainsi assez vite qu’une histoire ne tardera pas à se nouer entre l’écrivain et l’étudiante, bien que cette dernière ne lui semble pas très séduisante au premier abord. Le désir sexuel est pour Millet une damnation dont les hommes ne peuvent se défaire.

L’écrivain semble avoir pris conscience de l’aspect répétitif de ses considérations conservatrices sur les femmes ou sur la société, et il anticipe la critique de ce ressassement pour en faire un atout stylistique : «ma sœur (…) me rappelait que mon obsession de la pureté en toutes choses, notamment en matière de langue, n’excluait pas le goût des jolies femmes ni que je sois, en effet, un homme à femmes, c’est-à-dire un homme qui se laisse faire par les femmes, un homme facile, en quelque sorte, Françoise suggérant en outre que je commençais à radoter, oui, à radoter, sans me laisser ajouter que le ressassement est une source du rythme et de l’écriture».

Les répétitions de La Fiancée libanaise s’apparentent ainsi à des litanies auxquelles certains lecteurs seront sensibles, rappelant le charme des propos sans fin d’un grand-père sénile pestant contre la modernité, mais la posture de Richard Millet provoque un léger malaise, ses justifications participant d’une distance et d’un second degré propres justement à la modernité qu’il fustige. L’écrivain s’abstient cependant de verser dans le cynisme avec des textes le plus souvent dénués d’humour, et le recul dont il fait preuve n’en fait pas pour autant un auteur léger. Il préfère demeurer un écrivain à la rhétorique pesante, attaché à une vocation littéraire : «on échoue toujours à être ce qu’on est, pensais-je, à Stockholm, et l’écriture n’est sans doute qu’une manière de maintenir vivant cet échec, de l’entretenir sans illusions, de le transformer en quelque chose de fécond, jusqu’au moment où sa puissance d’aveuglement ne suffit plus et où la vie réclame son poids de vérité sous forme de sacrifice : je n’avais pas d’enfants ni d’épouse auxquels me résigner ; je ne pouvais que sacrifier ce que les autres appellent mon art, à tout le moins les sortilèges qui s’y attachent et la rhétorique dont je suis devenu prisonnier».

La Fiancée libanaise s’apparente ainsi à une réflexion sur le pouvoir de la littérature que Richard Millet illustre admirablement en démontrant ses deux principales vertus, à savoir sublimer une existence médiocre en une matière artistique, et coucher avec des femmes.


Antoine Robineau
( Mis en ligne le 02/11/2011 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Ma vie parmi les ombres
       de Richard Millet
  • Ma vie parmi les ombres, un entretien avec Richard Millet
  • Le Goût des femmes laides
       de Richard Millet
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd