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| Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Bruno Tessarech Art nègre
Buchet Chastel 2013 / 15 € - 98.25 ffr. / 239 pages
ISBN : 978-2-283-02630-4
FORMAT : 11,5 cm × 19,2 cm
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Un roman alerte, de Bruno Tessarech, qui rappelle le ton de La Femme de lanalyste. En 1996, son premier roman, La Machine à écrire, racontait les aventures dun écrivain Louis devenu nègre ; la réalité depuis la rattrapé : il est devenu écrivain, après avoir abandonné son métier de professeur de lettres, et exerce régulièrement le métier de «nègre». Nègre, on peut écrire aussi «plume», les anglosaxons disent «ghostwriter», écrivain fantôme, autant de mots pour dire le travail de lauteur qui prête sa plume et son talent à un(e) autre, à la vie sans doute intéressante et à lego souvent surdimensionné, peut-être inversement proportionné à ses qualités littéraires
Nègre : un métier décriture qui permet de faire face aux difficultés matérielles, mais un métier de lombre, alors que lécrivain et son entourage peuvent rêver des feux de la rampe ; métier ingrat, quoique... Sous la plume brillante de Bruno Tessarech, lexercice prend une dimension à la fois drôle et noble. Somme toute, le nègre dont Bruno Tessarech décrit par le menu le quotidien et les contraintes pratique la maïeutique, il aide ses commanditaires à acquérir une stature, à mettre en scène et en écriture leur vie. Un métier difficile qui exige du style, de la subtilité, du tact, beaucoup dintuition et un altruisme sans défaut puisque dans lécrasante majorité des cas le nègre est «oublié», nié, par ces «auteurs» qui se pavanent lors de la promotion de «leurs» livres : autobiographies ou biographies (genre très prisé des hommes politiques en traversée du désert
), essais de tout poil.
Certes les idées leur appartiennent et toute lintelligence du nègre consiste à les recueillir (ici : 15 heures dentretien, conseille léditeur avisé), pour les transformer en livre. Lanonymat du nègre est de rigueur mais, dans les milieux bien informés, il ne trompe personne, et Bruno Tessarech raconte avec humour comment son héros au salon du livre pourrait signer à deux tables : la sienne pour son roman (qui nintéresse pas les visiteurs) et celle de lauteur ancien ministre dont le livre est un best-seller. On peut dailleurs se demander ce qui pousse tant de personnes célèbres, de tous milieux, à vouloir faire croire quelles ont écrit un livre
Un hommage rendu à la littérature ?
Comment devient-on nègre ? Bruno Tessarech, qui lest également, et il y a une part dautobiographie dans le roman, a pris manifestement beaucoup de plaisir à raconter le parcours de son héros Louis (comme le héros de La Machine à écrire), qui, acculé à léchec, avec une vie qui fait eau de toute part (sa compagne est excédée et ne comprend pas ses choix, son appartement est un désastre
), se voit sauvé par un ami éditeur qui lui propose un contrat rémunérateur et inespéré en ces temps de vache maigre. Bruno Tessarech, qui a dédié son livre à Jean-Marc Roberts (disparu le 25 mars 2013), dresse un portrait attachant de léditeur, toujours manipulateur, qui joue ici à la fois les tentateurs et les sauveurs, tout en restant ferme sur les conditions de ce qui relève davantage du contrat commercial que de lart.
Louis saute sur loccasion, en dépit de ses préjugés, et, progressivement, il domine les ficelles du métier, apprivoise les «grands hommes» dont il conte la vie, combine réalité et rêve
Bruno Tessarech se livre à un catalogue réjouissant des différents clients : «Et puis de temps en temps il croise quelquun de connu. Un professeur en médecine venu opérer le chef de lEtat congolais de la prostate. Un homme politique en tournée de conférences après le succès de son autobiographie. Un célèbre écolo qui tourne des films sur les décharges du monde entier
Même Jean Rochef
» (p.205). Jean Rochefort, le grand acteur, qui assume pleinement son rôle daristocrate désabusé de la scène, et seul nom que Bruno Tessarech cite car justement ils nont jamais mené à terme le projet dun livre ensemble
Art nègre est un plaidoyer vibrant et drôle en faveur de ces inconnus méprisés ou ignorés que tout le monde - éditeurs, attachés de presse, «auteurs» - a intérêt à laisser dans lombre des coulisses ; rares sont les «auteurs» qui laissent une mince place à leur nègre (des remerciements ou, rarissime, le nom associé sur la couverture). Cest également une réflexion sur les conséquences pour lauteur de cette double vie : sa vie de romancier qui lui donne sa personnalité «noble», et sa face obscure : le travail de tâcheron dont la seule justification serait la rémunération ; et ce lien tendu entre les deux : lécriture. Écrire pour un autre sans que cela se voit : tout un art !
La conclusion revient à Jean Rochefort qui répond à une question de Louis : «Si on tient la grande forme, quest-ce quon fait ?» : «Ah oui, quest-ce quon fait
Eh bien on attend que surgisse de la nuit le bateau dAmarcord, avec toutes ses lumières, son orchestre, ses voyageurs en tenue de soirée, et on fait ce quil faut pour que la magie commence». Comédien, nègre, même combat : endosser les habits des autres, tenir leur rôle pour leur donner de léclat, mettre de la magie dans la banalité du quotidien
Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 09/09/2013 )
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