| René Guitton L’Entre-temps Calmann-Lévy 2013 / 16 € - 104.8 ffr. / 203 pages ISBN : 978-2-7021-4470-1 FORMAT : 14,0 cm × 21,5 cm Imprimer
LEntre-temps : voilà un roman dont la lecture ne parvient pas à percer entièrement lénigme contenue dans le titre
Seule certitude : le temps est bien au cur des pages de René Guitton. Le temps de lenfance, véritable paradis perdu ; le temps de labsence, celle du père tant aimé ; le temps, aussi, de lhistoire familiale, souvent mêlée avec «la Grande, lHistoire avec sa grande hache», selon la formule de Perec dans W ou le Souvenir denfance.
Le souvenir denfance, précisément : cest autour de celui-ci que sarticulent différentes évocations, qui sont autant de pages de lalbum familial que feuillette le narrateur, au gré de ses déplacements dans Casablanca, où il est né, dans un camp dinternement, où il a grandi et où il est de retour à lâge adulte. Cest au Maroc, en effet, le «7 novembre 1942», que se rencontrent Rose, «jeune modiste italienne», et Alexandre Landais, flamboyant commandant de marine originaire de Bretagne et exerçant au sein de «la flotte française fidèle à Vichy». Dès lors, leurs destins sont scellés et, ensemble, ils traversent les épreuves en cultivant leur bonheur, entourés de leurs deux enfants et de figures familiales truculentes. Alex, laîné de la fratrie, voue à son père une admiration sans borne, si bien que la mort, prématurée, de ce dernier, le laisse à jamais orphelin.
«De mes douleurs, me défaire ?» : à bien des égards, LEntre-temps participe donc dun lent et douloureux processus de deuil, puisque, si le narrateur a fait le voyage depuis Paris, cest pour exhumer le cercueil de son père et le rapatrier en France, pour quil repose auprès de sa veuve. Mais, au-delà, cest surtout lécriture qui, en exprimant cette quête des origines et en interrogeant ce mystère de la filiation, permet, peut-être, de dépasser la «sourde angoisse» quil y a à vivre encore quand ceux que lon a le plus aimés ont disparu : «Je repars à la source afin de mieux men éloigner. En quittant ce monde tu mas abandonné. Puis, imperceptiblement, tu as pris de plus en plus despace en moi, au point de métouffer. Curieux sentiments différents selon les étapes de la vie. Jétais ton gamin-barboteuse, ton barbe-molle, jusquà ton départ. Quand jai atteint lâge de ta mort, je tai vu en frère, mon égal. Puis ce regard fraternel vers toi sest mué, avec le temps, en celui dun père. Aujourdhui, où jai vécu plus longtemps que toi, je suis venu te chercher, en fils-père responsable. Aujourdhui, où pourtant je ne crois plus en lau-delà, où ma vie mapparaît devant toi, je suis prêt, défait de tout, nu jusquà lâme pour temporter».
Si on peut regretter que lécriture de LEntre-temps ne soit pas plus originale dans sa forme, on se surprend à être bouleversé, malgré tout, par cet hommage pudique et plein de délicatesse à un «tu» paternel qui, ainsi réinventé, accède définitivement à limmortalité «de la légende».
Sarah Devoucoux ( Mis en ligne le 18/09/2013 ) Imprimer | | |