| Corinne Devillaire C'est quoi ce roman ? Thierry Marchaisse Editions 2014 / 19 € - 124.45 ffr. / 224 pages ISBN : 978-2-36280-045-0 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm Imprimer
Une petite escale familiale, rien de bien désagréable, même si la mère et son fils ne se parlent plus depuis longtemps. Malou, la soixantaine conquérante, est une femme active, qui lutte sans répit pour préserver sa séduction et sa jeunesse. Ce qui suppose laide de la chirurgie et un travail constant, au physique comme au moral : une existence consacrée à soi, à la beauté et au culte de la jeunesse. Son mariage avec Robert, chirurgien esthétique qui a fait de son épouse son chef duvre, est à ce prix.
Lirruption, dans cette vie bien remplie de futilités, dune famille (un fils, Frédéric, son épouse Katrin et leurs enfants, Clothilde, Clarisse et le petit Pierre) jusque là soigneusement mise à lécart et comme niée, pourrait être un accident, une parenthèse. Mais la vie nest pas aussi simple, et lon ne gomme pas aussi facilement des pans entiers de lexistence. Bientôt, Malou découvre le plaisir dêtre grand-mère, y trouve, non pas le verdict de lâge, mais un nouveau départ, une manière de sassumer, un plaisir inattendu et libérateur. Pierre, son petit fils, est si délicieux, et Clarisse, si belle, presque une image delle-même
Alors la mère indigne entend devenir une grand-mère idéale. Certes, son fils, Frédéric, a du mal à dépasser les traumatismes dune enfance gâchée. Mais quimporte, lart dêtre grand-mère justifie quelques efforts, quelques explications. Et quimporte si Clothilde trop anorexique, trop cérébrale - demeure hors jeu, quimporte si Robert ne reconnaît plus son épouse
Rien ne saurait sinterposer entre Malou et son bonheur.
Le livre commence là où dautres sachèveraient, par des retrouvailles, des sentiments qui renaissent, un happy end familial. Puis la machine infernale se met en place, les névroses interagissent, les sentiments sexacerbent, la scénette familiale devient, par leffet dune mécanique implacable, un drame aux multiples résonances, jusquà lapocalypse final. Avec ce roman choral où lon suit chaque personnage dans un récit entremêlé en autant de points de vue, Corinne Devillaire révèle un beau talent pour lintrigue et la démesure. Passant dun personnage et dun style à lautre, elle sait mettre en scène pour le lecteur, spectateur impuissant, le naufrage dune famille certes pas très nucléaire, mais qui fonctionnait et avait appris à gérer ses tabous. Le charme de cet ouvrage est donc à la fois littéraire, mais aussi, surtout même, psychologique. On découvre, petit à petit, par des monologues et des journaux intimes, les angoisses, les attentes, les ambiguïtés de chacun, on saisit peu à peu la dynamique des forces qui vont broyer cette famille (mal) retrouvée. Entre légotisme absolu de la grand-mère, les traumatismes du père, lempathie de la mère et la fragilité affective de la fille, la situation bascule, le consensus vacille puis explose.
Ce huis clos familial, très dense, très cinématographique dans son déroulement, passionnera les amateurs de drames psychologiques, comme une espèce de catalogue de névroses appliquées. Une écriture parfaitement maîtrisée au profit dune mécanique implacable.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 06/01/2014 ) Imprimer | | |