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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Alexander Maksik La Mesure de la dérive 10/18 2015 / 7.80 € - 51.09 ffr. / 288 pages ISBN : 978-2-264-06452-3 FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm
Première publication en janvier 2014 (Belfond)
Sarah Tardy (Traducteur) Imprimer
Où trouver la force de survivre quand un horrible passé vous hante et que le quotidien est un combat permanent ? Telle est la question posée par Alexander Maksik dans ce roman bouleversant.
Jacqueline, une jeune Libérienne de vingt-trois ans, a fui son pays pendant la guerre civile. Grâce à un ami journaliste, elle a pu obtenir un visa espagnol. Son père, qui était le ministre des finances de Charles Taylor (depuis condamné pour crimes contre lhumanité), na pas du tout anticipé sa propre chute. Jacqueline avait une vie brillante, elle était cultivée et avait un petit ami blanc.
Durant cette errance, son existence dautrefois la hante par la voix de ses parents, une vie douillette, facile, damour et dinsouciance avec sa sur Saifa, enceinte. La jeune fille tente dexorciser le passé. Peu à peu, lauteur nous dévoile les horreurs quelle a traversées, les images enfouies de son ancienne vie et limportance vitale de sa relation aux autres en dépit de la peur et de la colère.
Cet été, elle survit sur lîle de Santorin aux plages de sable noir. Démunie, elle dort dans une grotte puis dans une maison en construction abandonnée où elle réussit à se créer un semblant dintimité avec ses quelques affaires. Elle travaille sur la plage en massant les pieds des touristes allongés sur le sable pour réunir quelques euros. Nous sommes saisis par lempathie et lémotion face à cette jeune femme cultivée, fière, luttant contre la folie qui la guette à cause de lisolement, de la solitude, sans personne à qui parler ou qui puisse laider et la soutenir dans son combat pour la vie. «Et tandis que le sentier lemmenait plus bas, tandis quelle écoutait son esprit, le vent et le bruit de ses pas, elle peinait à faire la différence entre ses souvenirs et la folie. Elle avait envie de sarrêter mais elle navait pas le choix, elle devait marcher. Sarrêter laurait tuée». Elle évite surtout la police qui la renverrait dans son pays aux mains des ennemis de son père.
Elle a limpression de ne plus appartenir au monde humain, de sen être détachée par la force, elle nest plus rien et na pas dexistence réelle, perdue dans sa précarité. Elle est invisible au regard des autres. Elle doit fournir de gros efforts pour accomplir des gestes aussi simples que manger, se laver, dormir pour survivre. Elle se ment, a parfois des éclairs de lucidité, mais elle avance un peu dans sa quête, elle a un faible espoir de se sortir de cette situation infernale. Mais le danger est toujours présent de se résigner et renoncer quand son corps ou son esprit la trahissent. «Et quel mois sommes-nous ? Jai perdu la notion complètement».
Alexander Maksik, par ce roman, nous apprend à mieux connaître la vie de ces clandestins, ces migrants que nous évitons de regarder en face et qui nous mettent mal à laise. Pourtant, ils avaient tous une autre vie avant le drame, souvent une situation politique ou économique qui sest dégradée. Ils nont plus davenir. Après avoir lu ce livre, peut-être aurons-nous un autre regard sur ces vies fracassées. Un beau roman sur la solitude humaine, sur le courage face à ladversité.
Eliane Mazerm ( Mis en ligne le 25/02/2015 ) Imprimer | | |
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