| Nicolle Rosen Je rêvais d'autre chose Thierry Marchaisse Editions 2014 / 16 € - 104.8 ffr. / 164 pages ISBN : 978-2-36280-051-1 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm Imprimer
Deux monologues font-ils un dialogue ? Un homme, au seuil de la mort et bercé par la morphine, évoque son passé, lhistoire dun jeune Allemand, juif, fuyant larrivée dHitler, pour une France qui, bientôt, bascule à son tour dans la guerre et les persécutions. A ses côtés, sa fille, Nina, veille et revient également sur sa propre jeunesse, avec ce père trop inquiet, trop attaché aux traditions, trop indifférent ou trop fuyant.
Chapitre après chapitre, un dialogue sesquisse, dialogue de sourds entre deux personnes qui ne se parlent plus mais se contentent de remâcher le passé, de le re-parcourir. On découvre la vie de chacun, celle du père en jeune médecin confronté au nazisme, puis survivant
une vie que sa fille tente de retracer, et déclairer, à la lumière de sa propre jeunesse, face à un père traumatisé, qui ne lui a jamais pardonné son mariage hors de la communauté juive. Et dans les interstices, lhistoire dune famille, modelée par cette mémoire : une mère exubérante et apeurée, une fille qui sérige en gardienne de la piété filiale et deux autres qui refusent, de toutes leurs forces, de supporter ce passé et cette identité, et un fils absent, autre figure de fuite.
Comment raconter - de nouveau la guerre, les persécutions antisémites, lexil, la peur ? Langle choisi par Nicolle Rosen, écrivain et psychanalyste, est subtil, et finalement peu traité : Max est un rescapé, il est parvenu à fuir, il a échappé aux nazis, échappé aux camps, échappé à la mort. Le drame certes la touché, à travers ses parents, mais lui a su lesquiver, sauvant ainsi sa famille. Indemne alors ? Non, il reste le traumatisme, la peur constante, insidieuse, qui baigne le reste de son existence et lentraîne vers dautres abîmes, plus intimes et moins terrifiants, comme le jeu.
Le charme de cet ouvrage réside déjà dans cette manière, habile, de décliner un passé, dabord avec les maux de Max, puis avec ceux de sa famille, rassemblée autour de son cercueil. Cest également une belle traduction littéraire de la psychanalyse et de son terrain, dans le style dIrvin Yalom ou de Goce Smilevski : à travers Max, et jusque dans les histoires sentimentales de sa fille, on découvre le poids du passé et dune expérience, qui va peu à peu gouverner toute la vie dun homme et des siens.
La plume de Nicolle Rosen est belle, toujours juste : pas de grands effets ni de grandes tirades, pas de leçon de psychanalyse appliquée assenée avec hauteur
Lauteur sefface, avec sobriété, devant ses personnages, et leur confère cette densité de lexpérience qui suffit à les rendre vivants, terriblement émouvants. Par petites touches, elle donne à les lire, à les comprendre, et amène le lecteur, conquis, à les percevoir avec un regard quelque peu clinique, où lon saisit, au-delà des mots, les traumas, les non-dits, les mécanismes qui se reproduisent ou bien les échos dune génération à lautre.
Un vrai beau roman, passionnant, qui sait jouer de lempathie comme de la distance pour donner au lecteur cette impression exaltante davoir compris son semblable.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 13/06/2014 ) Imprimer
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