|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| David Bezmozgis Refuznik Belfond 2015 / 20 € - 131 ffr. / 257 pages ISBN : 978-2-7144-5900-8 FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm
Elisabeth Peellaert (Traduction) Imprimer
Voici un nouveau roman russo-israélien de lauteur juif canadien David Bezmozgis, qui nous démontre les aléas de lHistoire puisque depuis la publication de cet ouvrage, la Crimée est revenue dans le giron soviétique en tant que République.
Fuyant Israël pour échapper à un scandale politique, Baruch Kotler nimaginait pas un seul instant lextraordinaire rencontre qui lattendait : face à lui, dans un petit meublé de Yalta, Vladimir Tankilevitch, son ancien camarade de chambre à Moscou, lhomme qui la trahi. Quand il débarque en Crimée, accompagné de sa jeune maîtresse, sa cadette dune trentaine dannées, Léora, ce charismatique politicien sexagénaire, refuznik juif, rescapé de treize années de goulag, na quune idée en tête, échapper aux pressions en Israël où ses adversaires politiques le menacent de publier des photos de sa relation adultère.
Ce huit clos se déroule sur vingt-quatre heures. Le modèle du personnage principal est Nathan Sharansky, né en 1948, année de la construction dIsraël, et ministre jusquen 2005 ; ils sont tous les deux passés par le goulag et sont des héros en Israël après avoir été des dissidents célèbres en URSS. Après une brillante carrière politique, Kotler refuse dêtre daccord avec un retrait prévu dans les colonies de Cisjordanie ainsi que leur démantèlement. Il revient à Yalta en souvenir dun agréable voyage effectué alors quil était enfant, avec ses parents. La rencontre inattendue avec son traître est le cur du roman et soulève les questions de lintégrité, du compromis, de lidentité et du pardon : «la dernière fois que je tai vu, tu mavais dénoncé devant un tribunal soviétique comme espion impérialiste à la solde des services secrets américains» (p.132).
Pendant quarante ans, Tankilevitch a existé dans lesprit de Kotler comme un simple rouage du système soviétique, avec une fonction : infiltrer les milieux sionistes de Moscou, un faux témoignage à la clé. Mais le traître raconte son histoire personnelle, plus délicate et insoluble. Lui aussi a été victime de la turpitude soviétique. Cest son frère qui devait être exécuté en monnaie déchange. Donc le libre arbitre est une illusion, nous sommes tiraillés entre les exigences de ce que nous représentons et ce que nous ressentons. Kotler a du mal à comprendre, très rigoureux sur la morale : «de même que certains ici-bas reçoivent des dons physiques ou intellectuels, dautres reçoivent des dons moraux. Le sens moral leur est inhérent. Ils possèdent un sens clair de la justice et sont incapables quelles que soient les circonstances de laltérer» (p.200). Où est lhéroïsme, où est le mal ? Ce nest pas toujours évident malgré lapparence simple des événements.
David Bezmozgis retrouve dans ce roman (comme dans le précédent, Le Monde libre) lexamen de la transmission intergénérationnelle entre les immigrants et leurs enfants : Benzion, le fils, nest pas daccord avec son père au sujet des colonies, mais il ne sait pas ce que lui commande son devoir.
Ce roman se lit comme une pièce de théâtre, de manière agréable, sans longueur, avec la confrontation très émouvante des deux anciens amis, Tankilevitch menant lexistence pauvre des juifs qui sont restés en Crimée, tributaire des dons dorganismes de bienfaisance américains. Cest un roman didées avec une histoire captivante qui nous parle de deux régions toujours au cur de conflits sans fin, même si les juifs qui ont fait leur Alya croyaient trouver la paix dans le pays qui est le leur...
Eliane Mazerm ( Mis en ligne le 27/03/2015 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Monde libre de David Bezmozgis | | |
|
|
|
|