| Silvia Tennenbaum Les Rues d’hier Gallimard - Du Monde Entier 2016 / 24,50 € - 160.48 ffr. / 624 pages ISBN : 978-2-07-014572-0 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
Colin Reingewirtz (Traducteur) Imprimer
Un épais roman plus de 600 pages - qui se lit dune seule traite avec les défauts et les qualités dune saga familiale. Cest en 1981 que Silvia Tennenbaum, née en 1928 à Francfort, et exilée avec sa famille aux Etats Unis en 1938, a publié ce roman. Il a donc fallu trente-cinq ans pour quil soit traduit en français. Évoquant à plus dun titre les Buddenbrook de Thomas Mann, Les Rues dhier raconte lhistoire dune famille juive, les Wertheim, industriels dans le textile, à Francfort. Francfort qui est aussi le berceau dorigine des Rothschild qui apparaissent en filigrane. Le récit souvre en 1903, dans latmosphère heureuse des années 1900. Très assimilés, les Wertheim, même sils restent attachés à leur identité juive, ont par exemple adopté la fête de Noël quils célèbrent avec faste.
Une grande famille bourgeoise allemande comme nombre dautres : un couple, Moritz et Hannchen, et leurs cinq fils : Nathan, Siegmund, Gottfried, Jacob et Eduard. Cinq personnalités différentes, le plus jeune, Eduard, décide très tôt de simposer comme laîné en dépit de sa place de cadet, et parvient à arracher ce rôle sans que ses frères ne lui disputent. Jacob est lintellectuel de la fratrie et se préoccupe peu de lentreprise familiale. Gottfried doit très vite partir aux États-Unis pour échapper à un scandale. Siegmund sintéresse avant tout au violoncelle et aux événements mondains avec son épouse Pauline. Et Nathan est avocat, soucieux de préserver sa famille. À côté des cinq frères, leurs épouses, les enfants
Riches, heureux, cultivés, ouverts, unis en famille, tout sourit aux Wertheim au début du roman qui souvre sur une naissance, celle de la petite Lene. Satisfaits deux, fiers dêtre allemands, rien ne paraît devoir ébranler leurs certitudes. Or le XXe siècle est en marche et lHistoire bouscule tous les plans : la Première guerre dabord, que font les hommes, puis la montée du nazisme, les choix de lexil pour quelques-uns - vers la Suisse, la Palestine, lItalie, les Pays Bas, les États-Unis -, la décision de rester pour dautres : la famille est désormais éclatée, même si elle préserve ses liens grâce à la correspondance, aux souvenirs, aux souci des autres. Plus que jamais, Edu apparaît comme le lien essentiel, le protecteur. Le roman sachève en avril 1945 : les «rues dhier» ont disparu, laissant place aux souvenirs nostalgiques dune époque révolue. Il sachève aux Etats-Unis, terre où Silvia Tennenbaum vit depuis 1938, ce qui confère au récit une part dautobiographie.
Si le suspense est mince, portant sur une époque bien connue, Silvia Tennenbaum a construit des personnages qui ont une réelle épaisseur, du moins pour la plupart dentre eux, y compris pour les personnages secondaires qui gravitent autour des membres de la famille, en particulier Fräulein Grundlich, la gouvernante catholique. Au début du livre : une généalogie
à ne pas consulter si l'on désire avoir la surprise du destin des divers personnages. Le personnage central est Eduard, «Edu», qui donne constamment limpression de se mettre en scène, dhabiter son rôle dentrepreneur habile, damateur dart distingué, allemand juif davantage que juif allemand ; à ses côtés, sa mère Hannchen, puissante dans son rôle de mère sinon dominatrice du moins extrêmement présente.
Un roman à la lecture aisée, animé dune réelle énergie : en dépit des événements tragiques qui en constituent la trame, limpression qui sen dégage est que la Vie lemporte
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 13/06/2016 ) Imprimer | | |