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Au nom du père
Laurent Seksik   Romain Gary s’en va-t-en guerre
Flammarion 2017 /  19 € - 124.45 ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-08-134390-0
FORMAT : 13,6 cm × 21,0 cm
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Après s’être penché sur les Derniers jours de Stefan Zweig et sur la maladie du fils d’Albert Einstein dans Le Cas Eduard Einstein, Laurent Seksik choisit d’imaginer 24 heures de la vie de Roman Kacew à l’âge de dix ans à Wilno. Et, ce faisant, d’établir et de comprendre le rapport au père.

Car, si Gary a magnifiquement conté sa relation à sa mère, Mina, dans La Promesse de l’aube, il a très peu dit ou écrit sur son père. Mais ce peu est déjà protéiforme et complexe. Gary jeune s’est même choisi un père de substitution : un acteur russe en vogue dans les années 30, Ivan Mosjoukine. A d’autres moments de sa vie, que ce soit sur des actes d’état civil ou à l’occasion d’entretiens, Gary s’est attaché à brouiller les pistes, voire à effacer les traces de ses origines : «Je suis un Juif mâtiné de sang mongol et tatar», a-t-il affirmé à plusieurs reprises.

Les seuls indices que Roman Kacew a laissé filtrer sur son enfance ou ses origines se trouveraient finalement dans ses romans : ceux écrits sous le pseudonyme Gary (Le Grand vestiaire ou les Clowns lyriques) comme ceux signés Emile Ajar (Pseudo). C’est par le truchement de quelques-uns de ses personnages que Gary révèlera les drames et les détresses de son enfance.

Le père fait donc office de page blanche où Seksik peut laisser libre cours à son imagination. Ce père, Arieh-Leib Kacew, est fourreur de profession. Roman ne l’a connu qu’à l’âge de sept ans, à son retour du front. Arieh abandonnera femme et enfant quelques années plus tard pour une autre, plus jeune. Un abandon que Gary a vécu comme une profonde fêlure.

Comment ne pas vouloir oublier cette enfance à Wilno, Lituanie, province de l’Empire tsariste, tour à tour envahie par les Soviétiques en 1920, annexée à la Pologne, de nouveau envahie en 1941 par l’Allemagne nazie. Nulle part, Gary ne revendique Wilno (Vilnius) comme lieu de naissance, ni pendant longtemps, ses origines juives, alors que Wilno était surnommée «la Jérusalem de Lituanie». Il y est né, a vécu dans le ghetto, a profondément souffert de l’antisémitisme et de ses humiliations, a fui les pogroms.

L’écriture de Seksik se tient au plus près de ses trois personnages, Roman, Nina et Arieh, tisse des liens et des dialogues, pénètre leur intimité. L’auteur décrit avec justesse les attaques subies par Roman de la part de petits camarades polonais :

«Un violent coup de pied le tira de ses songes et lui arracha un cri de douleur.
Sale Yid, lève-toi et retourne au ghetto ! entendit-il hurler en polonais.
Il reçut un deuxième coup sur les côtes, un troisième lui écrasa la figure, il crut que son nez était brisé  … Ce n’était pas la première fois qu’il était ainsi pris à partie quand il sortait du ghetto.»


Seksik invente à Roman un demi-frère, de dix ans son aîné, issu des premières noces de Nina (Mina) et qui serait mort à vingt ans des suites d’une grave maladie dans un hôpital de Berlin. Ce qui lui permet sans doute de justifier l’amour dévorant que Nina éprouve pour son jeune fils. Et qui effleure la vérité puisque Pavel, le demi-frère, et Valentina, la demi-sœur de Roman, mourront en déportation avec leur mère. Son père, lui, mourra dans la liquidation du ghetto que les nazis ont organisé entre 1941 et 1943.

Seksik se plaît à imaginer le respect et le désir de reconnaissance que le petit Roman éprouve envers son père, et que teinte parfois un sentiment violent de haine et de rejet, mettant en scène l’adieu d’Arieh à son fils. «Les chemins que nous avions tracés, ta mère et moi, se sont définitivement séparés et je marche aujourd’hui sur une autre route. Ne me demande pas pourquoi. Je ne suis pas meilleur qu’un autre. J’ignore si je serai un modèle pour toi. Je ne suis pas le père idéal. Le seras-tu, toi ? Nul ne le sait».

Dans ce roman, Nina ne peut qu’être une présence écrasante, protectrice, indissoluble de Roman (on ne peut échapper au portait que Gary a fixé d’elle dans La Promesse de l’aube). C’est grâce à son amour inconditionnel pour la France qu’elle emmènera Roman hors du ghetto vers ce pays de Cocagne, qu’elle croit être le «paradis». Ce qui leur sauvera la vie, car la presque totalité des cinquante mille Juifs de Wilno fut enfermée dans le ghetto et assassinée par les Allemands.

La passion de Nina prend joliment la forme de noms français qu’elle prononçait «à voix haute pour le simple plaisir de les avoir en bouche ou de les entendre résonner dans l’air, comme on jette des dés», ou des grands romans français que, volume après volume, elle a pu s’offrir, non sans sacrifices.

Après tout, qui mieux que Gary, qui a joué des pseudonymes, endossé plusieurs identités, créé sa propre légende, pouvait donner matière à un roman ? C’est avec sensibilité que Seksik s’empare de cet être encore malléable qu’était le petit Roman pour nous esquisser un portrait intimiste et sensible de l’enfance de cet immense écrivain.


Sylvie Koneski
( Mis en ligne le 08/02/2017 )
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