| Stéphane Arfi La Vie magnifique de Frank Dragon
Grasset 2017 / 19 € - 124.45 ffr. / 267 pages
ISBN : 978-2-246-72791-0
FORMAT : 14,2 cm × 20,6 cm
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Ce récit poignant, au titre antithétique, parcourt la vie de Frank Dragon entre 1939 et 1955. Enfant, il vit dans la communauté juive du Marais, à Paris, avec son père Tateh, rabbin, et sa mère Ona qui lui parle en yiddish. C'est un enfant muet, qui écrit son histoire pour son livre de souvenirs, entouré de son hamster et de deux poupées, qui le suivront dans ses pérégrinations. La narration est ainsi brodée des mots inventés par un enfant, sans être pour autant simpliste. Les néologismes sont très imagés, on «narine» toutes les odeurs et les parfums, et grâce à l’enseignement paternel, Frank connaît bien les Ecritures dont l’Ancien Testament.
La guerre : Ona est déportée et Tateh est raflé le 16 juillet 1942 au Vel d’hiv, avant d’être acheminé à Auschwitz dans les Sonderkommandos, la pire des horreurs. Frank est recueilli grâce au voisinage par une «juste», la ''grand-mère-de-la-guerre'' au fin fond de la campagne. A la mort de cette dernière, il entre dans un pensionnat catholique dirigé par des religieux... et là, c’est le choc : comment se fait-il que les gens vénèrent dans une petite maison blanche un autre Dieu que le ''Dieu-fâché'' des juifs ? Et pourquoi cet autre Dieu a-t-il un fils qu’il a abandonné en le laissant mourir sur la croix ?! Frank découvre avec stupeur une autre foi. Que sont ces deux Dieux par rapport au Dieu-fâché des Juifs qui a créé Adam et Eve et leurs descendants jusqu’à nous ? Dans quel ordre les ranger ? «Nous sommes dans sa maison. On s’agenouille devant celui qui est l’oint alors que le fils du Bon Dieu est tout près». Grâce aux pères, il prend connaissance du Nouveau Testament, parvient à faire une synthèse de toutes ces histoires et se sent plus près de Jésus en croix, unique juif présent, avec lui !
Plusieurs thématiques traversent le récit, la mort surtout, que Frank côtoie très tôt avec la disparition de ses parents, et les autres victimes de la guerre. La guerre évidemment, qu'il vit entièrement. Son père qui réapparaît, qui raconte, dans une logorrhée mécanique et décousue, difficile à supporter, les horreurs des camps dont il ne supporte plus le souvenir, dans un souffle empreint d’admiration pour son peuple et du désir de vengeance.
Le regard poétique de Frank l'aide à raconter ''sa'' guerre, à laquelle il ne comprend pas grand-chose en fait ; il s’écrit les souvenirs pour plus tard et adresse des lettres au bon Dieu. Le texte est superbe, fort d’une imagination scintillante, lyrique à chaque mot, baigné d’humour et de délicatesse.
Un premier roman très prometteur.
Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 15/02/2017 )
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