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Les mémoires d’un joyeux persécuté
David Sédaris   Je parler français
Florent Massot 2000 /  19.69 € - 128.97 ffr. / 302 pages
ISBN : 2-84588-014-6
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Davis Sédaris est un joyeux persécuté. Le modèle même de l’hérétique se rendant au supplice, ignare ou supra-conscient, en chantant, histoire de narguer une dernière fois ses tortionnaires. Les tourments qui l’assaillent de toutes parts, cet adolescent, Américain né en Caroline du Nord dans une famille de six enfants, les subit d’abord à cause de ses difficultés de prononciation de certaines lettres, puis de son attirance pour les garçons. Pourchassé par une orthophoniste et ses fantasmes virils, David est d’emblée hors normes. Une image qui lui colle à la peau et lui va comme un gant. Je parler français se décline ainsi comme le récit autobiographique des aléas de son existence depuis le sol américain jusqu’à sa visite, haute en couleurs, de la Normandie. Et l’apprentissage de la langue française, ô combien difficile !

A priori, rien de bien emballant ou d’incroyablement émoustillant. Avouons même que certains passages se lisent avec l’oeil atone de celui qui ne se sent pas impliqué dans les frasques d’autrui. Mais là où ce roman se révèle plus savoureux que prévu, c’est dans la description objective que fait l’auteur des moeurs tant américaines que françaises. Vivant entre ces deux pays, Sedaris semble occuper une position confinant à la ligne de crête séparant les deux versants de terres ennemies -ou sans communes mesures à tout le moins.

Abonné à toutes les drogues et alcools, adepte des délires les plus extravagants, l’auteur se raconte sans pudeur ni retenue, mais passe également à la moulinette ironico-critique sa famille. Si ces pages sont étonnamment réservées quant aux goûts homosexuels du personnage principal, en revanche, nombre de travers comportementaux sont mis en exergue avec malice. Ce qui n’empêche pas le romancier de se laisser aller à quelque évocation scatologique. A ce titre, sa remarquable chasse à l’étron réticent dans la cuvette des toilettes de son ami John (chapitre: "Un grand garçon") est un summum de nonsense et d’angoisse névrotique mêlés. L’équivalent des thèses freudiennes en matière de psychanalyse revues et corrigées par l’humour des Monty Python. On n’osera ici vous soumettre ces lignes afin de laisser le plaisir de leur découverte vous submerger…

Dans un autre registre, l’opiniâtreté de David à "contourner les obstacles" qui se dressent devant lui, qu’il s’agisse de ses problèmes d’articulation ou de la faiblesse de son QI, permet à l’écrivain d’aménager un incontestable art de l’ellipse qui n’est pas sans rappeler certain esprit de finesse. Sédaris n’a pas son pareil pour vilipender l’analyse désenchantante du monde dont le gratifie constamment son ingénieur de père, ou l’inanité affective de ses parents ne tombant en adoration que devant les chiens successifs de la famille.

Ce parcours édifiant n’est pas toujours des plus gais : que l’on pense à l’échec du héros en matière d’expression artistique ou d’enseignement littéraire, aux multiples petits boulots (professeur basant ses cours d’écriture sur de daubesques feuilletons de sous-seconde zone, secrétaire d’une foldingue, déménageur à la solde des communistes etc.) qu’il se coltine pendant dix ans afin de payer sa dope et ses clopes vitales, le tableau n’est pas l’un des plus stimulants que l’on puisse proposer comme modèle éthique et social. David Sedaris dispose cependant de cet incontestable talent qui consiste à enrober de mots drôles et de métaphores impitoyables les petit riens de l’existence ici-bas. Sorte d’art (à la française) d’accommoder les restes dont on sait qu’il est aussi le plus souvent la promesse d’un bon repas.

Pas narcissique pour un sou, cette autobiographie cuisine l’âme du lecteur bégueule et rappelle aux palais fins la jouissance du hot-dog, cet acmé de la bouffe sans prétention esthétique mais efficace. On grince des dents parfois, on rit souvent. Ce "technophobe" qui chante la magie créatrice de l’archaïque machine à écrire ne saurait être tout à fait mauvais, c’est entendu. L’éditeur Florent Massot a dû l’entendre de cette oreille en le prenant au mot d’ailleurs, puisqu’il essaime son texte de fautes d’orthographe et coquilles que nous aurions tendance à considérer comme dispensables. Même ses compatriotes ne lui tiennent pas rancoeur de sa description ravageuse des touristes américains à Paris puisque Je parler français a figuré pendant plusieurs semaines en tête des ventes au classement du Los Angeles Times à sa parution sous le titre original Me Talk Pretty One Day. "En fin de compte, note David Sedaris avec espièglerie, Paris est probablement l’endroit que j’ai choisi pour rêver de l’Amérique. Tout simplement."

Un ouvrage à conseiller en toute logique chauvine à ceux qui ont le coeur bien accroché, osent se moquer d’eux-mêmes et veulent connaître sous leur vrai jour Chicago ou New York.


Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 04/01/2001 )
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