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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Frederic Manning Nous étions des hommes Phébus - D'aujourd'hui étranger 2002 / 20 € - 131 ffr. / 337 pages ISBN : 2-85940-801-0 Imprimer
Paraphrasant Marx, on dirait, en refermant ce livre, que "les hommes font la guerre, mais quils ne savent pas quelle guerre ils font". La référence nest pas triviale, elle dit lapparente incohérence entre la lucidité de lhomme qui sait aller au massacre et sa totale démission morale qui vient de ce que, tel un automate, il sabandonne à la logique de la guerre. Tel est "lhorizon" que décrit dans ce roman Frederic Manning, à travers une galerie de portraits dhommes de troupes britanniques engagés dans la Première Guerre mondiale.
Parler de ce livre soulève déjà une difficulté : quapporte-t-il "de neuf" que la littérature guerrière ne nous ait déjà appris ? Si les auteurs allemands (Remarque, von Salomon et surtout Jünger) et français (Barbusse, Dorgelès, Céline
) sont bien connus dans notre hexagone, peu de lecteurs ont lu les pages anglaises sur 14-18. Le poilu est une image dEpinal, pas le Tommy, son équivalent doutre-Manche. Cela fait-il une différence, tous les hommes de troupes ne se valant-ils pas dans les "orages dacier" de la guerre ? Poser la question, cest déjà y répondre. Toutefois, toutes les plumes, elles, ne séquivalent pas, et celle de Manning est remarquable à plus dun titre. Les éloges ne tarissent pas sur ce livre ("Sur larmée britannique, de cela je suis sûr, cest le livre des livres", aurait écrit Lawrence dArabie), ainsi que le rappelle William Boyd en introduction.
Le destin dun simple soldat dans la guerre. Frederic Manning, qui a fait la guerre comme engagé volontaire dans la troupe (il a refusé de servir comme officier) raconte son histoire mais en utilisant le genre de la fiction, ce qui lui permet dallier une grande liberté décriture et une connaissance intime de ce quil décrit. Pour ce qui est du héros de Manning, à savoir Bourne, un certain parallèle est possible avec le Bardamu de Céline : ce sont tous deux des types qui font la guerre sans haine ni conviction. Mais ce nest pas un "voyage au bout de la nuit" que décrit Frederic Manning mais un abandon apparent, une fêlure, une résignation, sans le picaresque dément de Céline. Aussi, lâpreté de la vie des hommes de troupe ressort-elle dune manière saisissante de la description apparemment maîtrisée, ou mesurée, de cette ordinaire guerrier. Lennui succède au tragique, sans rupture, et le quotidien reste le seul horizon de tous ces hommes. Lesquels pensent indifféremment aux femmes, à la bouffe, à leur copain terrassé le matin-même.
Et le lecteur finit pas entrapercevoir ce qu'a pu signifier être un homme de troupe dans une des plus grandes boucheries de tous les temps. Ce roman est un tour de force littéraire, non seulement parce que les faits remontent à laube du siècle précédent, mais également parce que lauteur a su éviter la boursouflure des mots, la grandiloquence du "témoignage", limpasse de la conviction politique, le mensonge de lillère idéologique. "Hommes de troupe" : Manning a su redonner à ces mots leur pleine signification.
Vianney Delourme ( Mis en ligne le 10/04/2002 ) Imprimer | | |
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