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| Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Antonio Gil Le Butin de cendres
Denoël - Denoël & d'ailleurs 1999 / 12.98 € - 85.02 ffr. / 127 pages
ISBN : 2-207-24948-4
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La prière s'élève d'un sombre cachot nauséeux. Les derniers jours d'un vaillant condamné à mort expirent en litanie. Pedro de Almagro, le chef de la première expédition espagnole au Chili se souvient. Du fond de sa cellule, ce hardi capitaine castillan appelle à la rescousse les souvenirs d'une vie qui s'achève. Au nom de Dieu et du roi don Carlos, le futur gouverneur de la Nouvelle Tolède conquiert le Pérou en 1534. A ses côtés, son compagnon d'armes Pizarro lui jure amitié éternelle. Aux serments de fidélité succède rapidement une farouche rivalité. Les deux hommes s'affrontent pour la possession de la ville de Cuzco. Cuzco la bien-aimée qu'Almagro revendique comme sienne. Au terme d'une ultime bataille, le traitre Pizarro s'empare des richesses du capitaine et le maintient prisonnier dans sa propre maison. Attentif aux bruits du quotidien, le prisonnier associe le pas cadencé du geôlier aux sinistres préparatifs d'une exécution inévitable.
Derrière le mur de la cellule, la présence incertaine du curé d'Alcaraz incite Almagro à dicter ses derniers instants de recueillement. Le souvenir continuel de son fils Pedro apaise les tourments d'une conscience aux aguets. Seul l'enfant béni apporte un peu de douceur à une existence vouée aux combats. Mandée par le roi, l'exploration des terres sauvages du sud entraîne d'incessants conflits avec les Indiens. L'armée espagnole inflige massacres et tortures aux rétifs infidèles. Le nom de Jésus aux lèvres, Almagro et ses troupes s'enfoncent toujours plus profondément aux confins des vertes vallées du Chili. Les légendes savamment colportées de villes où l'or coule à flot entretiennent la foi des sombres guerriers. Pour toute richesse, Almagro rapporte de sa mission quelques pépites d'or et "cette étrange sensation d'être à chaque pas plus près du néant".
Les vapeurs de la fièvre troublent constamment le fil d'un récit désordonné. De la mémoire embrouillée du captif ressurgissent les vertes années de jeunesse auprès de l'oncle bien-aimé, le départ précipité du pays natal, la douce chaleur de l'épouse aimante. Nulle crainte des supplices attendus ne torture le farouche combattant, habitué à affronter la mort sans ciller. Sa croyance inébranlable en Dieu et sa fidélité au roi ne laissent aucune place au doute. "J'ai été loyal envers moi-même car j'ai en moi un Dieu et un roi qui me poussent sans réserve dans le juste" répète à foison le chevalier. La haine implacable que lui inspire le borgne Pizarro rend d'autant plus insupportable une mise à mort sans espoir de vengeance.
Les dernières paroles de Pedro de Almagro précieusement recueillies par un copiste anonyme gardent malgré les siècles passés une spontanéité pathétique. Ces chuchotements murmurés à travers les grilles d'une prison résonnent d'un écho lancinant longtemps après le vertige du silence. L'un des grands découvreurs de l'Amérique du Sud livre son indicible dégoût des vanités terrestres. Le rêve d'un nouveau monde prospère s'enfuit à l'évocation des sourires de l'enfance. Aux portes de la mort, l'infatigable combattant lègue tous ses biens au roi, geste dérisoire de celui qui ne possède déjà plus rien. Quel dommage que notre Jeanne nationale n'ait pas trouvé d'oreilles scrupuleuses pour transcrire ses suprêmes confessions avant le départ au bûcher !
Christine Gallardo
( Mis en ligne le 10/03/2000 )
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