| Nicolas Michel La Bleue Gallimard - Blanche 2004 / 15.50 € - 101.53 ffr. / 192 pages ISBN : 2-07-073542-7 FORMAT : 14x21 cm Imprimer
Alice, la fille de Pierrot et Marie, naît bleue, la peau bleuie par un sang mal oxygéné mais viable. Elle est bleue. Point. De ce constat naît une aventure humaine dite dans ce beau roman écrit par Nicolas Michel.
La Bleue, cest, comme le pelé, le galeux de la fable, celle quune différence isole du reste de lhumanité, obligeant chacun à se définir face à elle. Gare au malentendu : nest pas le monstre qui lon croit. Car devant cet être et sa différence, la galerie des horreurs, le freak show, rassemble surtout les autres, les parents, le frère, les amis, les docteurs en mal darticle scientifique, les journalistes en mal de scoop, les commères en mal de ragot et une mère en mal de normalité. Marie ne sait pas comment gérer cette progéniture couleur Ceylan ; elle en veut à Pierrot et réussit, ou du moins sen convainc-t-elle, à dénicher, au prix dune enquête généalogique, le gène vicieux dans les ascendances paternelles. De quoi fuir vers des génomes moins suspects, en quête dun enfant estampillé «normal».
Voici donc lhistoire dune solitude à la Elephant Man. Blue girl
Ou plutôt, lhistoire de solitudes, pluriel lisible dans le récit où, imperceptiblement, la narration se déplace du point de vue du père à celui de la fille devenue adolescente. La première partie, où lauteur a sans doute plus aisément projeté ses angoisses et un peu de son «moi», est la plus poignante : on y lit toute la beauté et la fragilité dune paternité sur la corde raide. Il appelle Alice son bleuet, sa bluette
La suite du roman, quand lenfant commence à battre de ses propres ailes, est plus conventionnelle et moins empathique. Alice ny est plus quune adolescente comme les autres, au corps changeant, quil faut masquer, accepter, rejeter
Cest sans doute aussi la grande prouesse de lauteur que de ne jamais nous faire voir Alice comme un monstre. On lit et on ne la voit pas bleue car lamour dun père la rend blanche comme neige, vierge, immaculée, malgré les maladresses, la peur de toucher, la dure mission de gérer au quotidien le plus banalement possible cette enfance un peu maudite. Le style, télégraphique, jeté de phrases nominales, de mots, des éclaboussures, des bribes de pensées, dimpressions, sert admirablement ce point de vue dun père, comme une pensée hagarde qui, face aux événements, chercherait sa direction
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 05/03/2004 ) Imprimer | | |