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L’histoire jusqu’au bout des gens... | | | Greg Lamazères Les Gens de Borgo Privat - Roman historique 2004 / 21 € - 137.55 ffr. / 320 pages ISBN : 2708958291 FORMAT : 14x22 cm Imprimer
Etrange récit que celui de Greg Lamazères. Petit bout de lorgnette sur un coin oublié de lItalie, Borgo, encore sous la coupe autrichienne, celle des tout puissants Habsbourg. Histoire dune vie dure dans les carrières, dans ces Dolomites au paysage ruiniforme, qui ne seront que ruines à la fin dune guerre sanglante, ayant mis face à face Italiens et Italiens ; histoire dune terre pauvre que ravage la Pellagee, maladie de la polenta, le racisme autrichien et la violence dun pantin irrédentiste, Benito Mussolini, faisant ses classes grotesques, archet pointé, plus vindicatif que violoniste mélomane, et surtout apte à chevaucher de grasses servantes.
Il y a Giacomo, lirréductible, les pieds et la tête accrochés à sa terre, étranger à la politique et à lhistoire qui se noue dans ce nord italien, traître sans le savoir ni le vouloir, juste fidèle à son coin de sol. Et il y a Luigi, le frère, qui a compris, trop tard mais compris que ses choix nétaient pas les bons, qui se bat pour lItalie et qui sera pendu ; son combat pour la liberté amènera le Duce au pouvoir....
Certes, lempire Austro-Hongrois aura fini par se disloquer et Trieste et le Trentin de revenir à la patrie en 1919. Mais déjà les chemises noires sont sur les sentiers punitifs, à grand renfort de slogans puants. Cette fois, fuir le sol natal devient la seule alternative ; une grande vague dimmigration emporte un millions et demi dItaliens au Brésil dès 1914. Les Etats-Unis, au temps dune certaine affaire Sacco et Vanzetti, ont fermé leurs frontières aux Italiens. Alors, Giacomo choisit la France, Albi, une carrière de granit. Beaucoup de travail pour un tailleur dans cette France décidée à honorer ses combattants par autant darcs de triomphes et monuments villageois. Maria, courageuse épouse de Giacomo, lattend au pays, en proie aux harcèlements des fasci.
La vie à Albi, dans les années vingt, voit fleurir lindustrie textile, les premiers pas du viscose, textile artificiel et avide dune main duvre bon marché, logée dans des cités où arrive encore la voix dun Jaurès, défunt défenseur des gueules noires de Carmaux. Giacomo naime que la pierre, ses mains sont façonnées par elle plus quelles ne la façonnent, ses outils lont accompagné depuis Borgo. Il revient donc à la pierre juste avant que ne résonne à nouveau la guerre, celle que le bouffon transalpin vient de déclarer à la France en 1942. Et à nouveaux des chemises noires, mais celles de Darnan...
Et cette perpétuelle angoisse sans nom, qui déchire une âme simple, droite, qui conduit une famille au long des années, ces fantômes domestiques qui hantent ses nuits jusquau dernier jour dune vie que seule la vieillesse terrassera. Le récit est riche, émouvant, quelquefois maladroit dans lardeur descriptive, mais dune grande sensibilité. Il est empreint de cette nostalgie dont chacun souffre : retrouver ses traces ancestrales et identifier ses particularités dans ce bouillonnement des gênes familiaux ; et situer son histoire dans celui de lHistoire...
Raymonde Roman ( Mis en ligne le 08/09/2004 ) Imprimer | | |