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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Etats d’âme d’un paisible phacochère | | | Frédéric Grolleau Le Cri du sanglier Denoël 2004 / 16 € - 104.8 ffr. / 254 pages ISBN : 2-207-25495-X FORMAT : 13x18 cm Imprimer
Voilà une manière bien surprenante et ô combien efficace de renouveler cette veine intimiste qui avait fini par lasser plus dun lecteur, ennuyé des réflexions moroses de narrateurs qui, en panne de sujet, en venaient à faire de linsipide anti-roman de leurs existences vides le centre dun monde sans pitié. Car le cur inquiet dont on assiste ici aux épanchements était bien gros. Non que cela présage de vaines pleurnicheries ; en réalité, il sagit de celui dun sanglier.
A travers le regard bien sympathique dun animal méconnu quon découvre au fil des pages, soffre une réflexion enjouée, quoique sans illusion, sur la cruauté dune société au sein de laquelle il est très difficile de nêtre ni chasseur ni proie. Bien quil utilise un langage parfois déroutant, ce débonnaire sanglier savère dagréable compagnie et se révèle un guide attentif à instruire ses lecteurs. Cet ouvrage fourmille en effet de références aux sources infiniment variées, et de définitions qui aident le néophyte à se repérer parmi la jungle de termes techniques dans laquelle le sanglier a installé sa ludique existence de gentilhomme campagnard.
Conscient de sa finitude, il lest, sans aucun doute : nest-ce pas lui qui, le premier, nous suggère maintes façons de laccommoder de manière à flatter nos papilles quil éduque au bon goût ? Et, quoi quil en soit, la chasse perpétuellement présente, dont il est un discret et bien involontaire protagoniste, ne lui permettrait de toutes façons pas de loublier. La violence est lenvironnement ordinaire du sanglier, et lorsquun semblable constat sort de la bouche dun vieil humaniste tel que lui, nul doute quil faille comprendre quun destin comparable attend également lêtre humain.
Pour autant, sil ne se plaint pas, il se laisse parfois aller à des aveux qui, soyons-en sûrs, en disent long sur ses rêves de jeune marcassin fougueux, quil se sera résolu à enterrer en vieillissant, comme tant dautres. Lorsquil se décrit comme un animal foncièrement attaché à lidée dun monde paisible dans lequel il aurait toute latitude dassouvir des désirs simples, et de jouir des petits plaisirs quotidiens offerts par une existence irénique, cest une manière de plaider en faveur dune coopération sereine dédiée à lédification dune société épicurienne.
Et sa manière de grommeler gentiment à loreille dun lecteur désarçonné par ses cabrioles un peu lourdes autant que par ses boutades redoutablement fines, le rend tellement attachant que lon finirait par se laisser bercer par ce songe heureux, si lui-même ne se chargeait de nous rappeler à la réalité, laquelle ne se laisse pas si facilement nimber dhédonisme.
Entre fantaisie et philosophie de vie, cette uvre se révèle donc rafraîchissante, éclectique, et peut-être même un peu prophétique. Mais attention, derrière cette joyeuse façade, se cache un essai à prendre au sérieux !
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 05/10/2004 ) Imprimer
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