|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Anita Brookner Les Règles du consentement Fayard 2004 / 19 € - 124.45 ffr. / 306 pages ISBN : 2213620695 FORMAT : 14 x 22 cm
Traduit de langlais par Simon Manceau. Imprimer
Depuis 1983 et la parution de Look at me (Regardez-moi), la romancière anglaise Anita Brookner ne cesse daborder avec justesse les thèmes de la solitude, du rapport de forces en amour ou en amitié, de lennui, en particulier leurs enjeux féminins. On retrouve certaines de ces préoccupations dans Les Règles du consentement. Le destin de deux amies qui furent proches dans leur jeunesse, lune de famille aisée, Elizabeth, lautre pauvre et orpheline, qui partage le même prénom que la première mais la troqué pour « Betsy », se croise de loin en loin. Elizabeth, pour qui la vie sentimentale se pose en termes de choix peu engageant la sécurité ennuyeuse ou lamour destructeur ou encore, puisque précisément le choix est désolant, la solitude , observe avec une consternation bien peu teintée de compassion lévolution de sa candide amie.
Cet intérêt, même dubitatif, a un motif, car ces femmes sont exposées à une problématique commune qui explique en quoi lune est fascinée par lautre. Toutes deux sont nées en 1948, et la libération féministe de la fin des années 1960 arrive trop tard pour elles. On leur a appris la réserve, la mesure et le dévouement, et si Betsy prend part à cette effervescence étourdissante, cest dans le rôle de lépouse soumise dun faux révolté. Quant à Elizabeth, que pourrait-elle revendiquer dont son éducation ou linégalité hommes/femmes laurait privée, quand toute aspiration chez elle a été totalement annihilée, au point quelle ne se décide jamais à entrer dans la vie active, ni à poursuivre quelque but personnel que ce soit.
Telles sont les données lorsque advient la question de lengagement amoureux et de la vie de couple. Les deux femmes sont bien peu armées pour défendre leur intégrité face aux charmes de légoïsme masculin, à la tentation de tout mettre en uvre pour contenter lautre au mépris de soi-même et des règles du consentement, surtout si cela permet déchapper au vide de sa propre existence. On retrouve ici un thème cher à Anita Brookner, développé notamment dans Regardez-moi et dans Hôtel du lac. Combien sont séduisants ces êtres comblés par la vie, même sils doivent leur richesse, leur beauté, à leur peu de scrupule à semparer de ce quils désirent, femmes comprises, et à exploiter les bonnes volontés tant quelles sont utiles ; combien dangereux pour les êtres timides et soucieux dautrui quils attirent dans leur lumière ! Elizabeth voit ainsi Betsy prête à tout pour vivre lexaltation amoureuse, et qui se livre pieds et poings liés à un amour égoïste. Elle qui a été tentée par ce choix mais nest plus prête à voguer vers dautres cieux sans avoir été totalement rassurée sur les conditions climatiques.
La façon dont les personnages dAnita Brookner senferment dans des dilemmes qui nappartiennent quà eux et à leur histoire, mais les ficellent plus sûrement quune camisole de force, est la thématique passionnante quelle développe de roman en roman et qui en fait un écrivain unique. Elle a le mérite de dévoiler ce processus pour beaucoup dentre nous familier, mais affleurant rarement à notre conscience, et également peu traité en littérature. Pourtant ce roman-ci est quelque peu décevant. Car lon se découvre agacé par ce processus dauto-immobilisation dans lequel sest engagée la narratrice, Elizabeth. Terrorisée par linconnu, comme on la dit, elle fonctionne en circuit fermé. Elle élabore des raisonnements dans la solitude de son salon, qui ont toute lévidence dune équation scientifique. Si je fais ceci, va advenir ce nocif ou désagréable cela : autant ne pas bouger et rester toute seule, au risque de lennui, avec lequel jai appris à composer. Et les raisonnements dElizabeth en viennent à tenir plus de place dans le roman que lintrigue. Au point quon en éprouve dune part un léger ennui ; au point dautre part quon a le sentiment que la romancière est pleinement en empathie avec son personnage, et considère comme elle quon peut tout prévoir du déroulement de son existence si lon bénéficie (mais est-ce bien une chance que den être pourvu ?) de la lucidité suffisante, à savoir ici la conscience de ses propres limites. Et que la vie, avec sa part dinattendu de surprises, de hasards, na aucun pouvoir pour changer nos propres données et notre destin. Certains lecteurs lui donneront raison, sans doute pas tous.
Elise Goldberg ( Mis en ligne le 20/06/2005 ) Imprimer | | |
|
|
|
|