| Jean-Pierre Philippe Autour d'Elvire Le Cherche Midi 2008 / 17 € - 111.35 ffr. / 246 pages ISBN : 978-2-7491-0862-9 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm Imprimer
Les attributions des prix littéraires, qui sonnent lentrée dans lhiver à Saint Germain, nourrissent à chaque automne cette frénésie des publications en tout genre. La période, qui nous propose des textes par centaines et au kilo, est-elle le reflet de cette manie française écrire ou bien la saturation dun système vendre ? Paraît ce mois, passé le tumulte, un roman intitulé Autour dElvire. Ce nest pas une anecdote, mais un mode opératoire, une manière dêtre. Explications.
Un texte attend donc un peu moins de fureur pour savancer, sans pour autant vouloir demeurer confidentiel. Ainsi en est-il de même pour Paul, personnage du roman, qui fuit le monde en même temps quil le parcourt, dont lesprit oscille sans cesse entre lapostolat et la contemplation. Paul est journaliste grand reporter. Il couvre les conflits à travers le monde en sinterrogeant sur ses structures profondes, sur ses absurdités souvent, sur ses beautés parfois. Jérusalem, symbole récurrent du génie et de la folie des hommes, encadre le texte et tisse son fil rouge. Paul est aussi amoureux. De certains lieux, Paris, Venise, Fez. Et dElvire, éperdument. «Elle est là contre le chambranle de la porte. Elle éclaire tout».
Fait-elle réellement la lumière sur tout ? Cest quautour dElvire, il y a les autres. Lépouse de Paul surtout (son chemin de croix), qui lui fera payer son départ par dinterminables procédures de divorce. On assiste à la cruauté de la Justice, à ses jugements de cour et à ses murs crasseux
Aux mensonges du couple, dont chacun a conscience mais quil fait semblant dignorer, durant tant dannées. Et puis, au bout du compte, un homme à reconstruire.
Sa reconstruction est faite de fragments. Autour dElvire est un patchwork, un agrégat de pièces inégales et décousues. La structure même du roman est fondée sur ce maillage du discours, du dialogue ou du récit, en courtes séquences ou en feuillets plus longs, sur ce cryptage des voix, des focalisations, des points de vue. Paul nous parle, se parle à lui-même, parle à Elvire (son chemin de Damas). Elvire interpelle Paul. Lami de Paul nous éclaire également sur cet homme «pressé et sans mémoire».
Paradoxe : ce personnage est apparemment sans mémoire, mais aux souvenirs en lambeaux, qui dérivent au long cours. Ils sont parfois tendres et amusés, parfois douloureux, comme dans lappréhension de sa solitude, de son solipsisme. Paul (qui nest donc pas toujours le narrateur) atteint parfois une lucidité poétique comme dans le chapitre intitulé «Les loups», ou bien formule des pensées plus sombres :«Je suis suffisamment déprimé pour nourrir létrange ambition daller chercher la célébrité en me faisant sauter le caisson à dix mille mètres daltitude. Cest la mode, nest-ce pas ?»
Lensemble est servi par une écriture originale, classique par sa syntaxe, fondée sur des rythmes ternaires ; classique par des inclusions de maximes dans le discours («Ce que lon fait par contrainte, on ne le fait pas par amour»
«Lintime est un mystère») ; et surtout, par la compréhension de son auteur que le classicisme est la vraie subversion.
Hadrien Farnese ( Mis en ligne le 11/04/2008 ) Imprimer | | |