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Trop de moi-moi peut provoquer des troubles de la mémoire... | | | Eric Paradisi Séquelles ordinaires Gallimard - Blanche 2007 / 14,50 € - 94.98 ffr. / 158 pages ISBN : 978-2-07-078527-8 FORMAT : 14,0cm x 20,5cm
Date de publication : 06/09/2007 Imprimer
M. Paradisi, confessons-le : nous avons lu votre roman, lavons beaucoup aimé, mais, sitôt lu
nous lavons oublié ! La faute à qui ? En partie à Philippe Forrest, votre compagnon en édition, dont nous avons lu le dernier roman (Le Nouvel amour) dans la foulée du vôtre. La faute surtout, à ce trend si actuel, par lequel tout auteur français à la page étale son moi-moi en le pourtourrant de glauque et de grisaille. En lisant Forrest tout juste après vous, un étrange phénomène de brouillage sest opéré, la prose de Forrest, dont nous parlerons bientôt ici, perturbant en touches grises et noires la noire grisaille de votre prose à vous. Et amnésie de notre part !
De la honte aussi mais, à défaut du souvenir du roman, nous conservons celui du plaisir passé à le lire, plaisir des réflexions brodées au fil de la lecture, sur la beauté de votre style, ces jolis mots mis sur ce que cest quaimer et être triste, pesant dennui, vidé, cette peinture aussi que vous faites de Paris, cité morne mais toujours aimée. Que sest-il passé ? Sommes-nous surmené ? Fatigué à force de lire de cette prose moi-moi-esque où tout le monde se ressemble et donne si peu envie, tout en écrivant si bien ? Mystère
En béquilles à notre mémoire défaillante, quelques pages cornées à linstant de la lecture, pour rappeler, par ce pli discret, notre attention à quelques phrases que lon jugea clés ou, plus simplement, belles. Sur Paris : «Il y a autant de gris que de quartiers, autant déléments qui le révèlent. Le gris clair de lacier des tours. Le gris brun des trottoirs. Le gris grège des immeubles. Le gris ardoise de lécorce crevassée des arbres. Le gris de plomb des pigeons figés sur les toits. Le gris de maure du ventre humide des ponts. Le gris de lin des visages. Le gris perle des parcs hors saison. Le gris de Payne de la place. Un gris bleuté suspendu aux rouleaux anthracite du ciel.» (p.50) Cest très beau, précieux et poétique, et mâle à la fois. Ailleurs, sublime, cette image : «Une marelle dombres et de lune gît sur les lamelles du parquet» (p.86)
Comme Forrest, le deuil de lenfant en moins, vous parlez dun amour déchu et dun amour nouveau : de Marie, avec qui vous partagez la garde dun chien à défaut de celle dun enfant, biologie oblige, la garce (on retrouve dailleurs dans cet enfant non-né celui mort de Forrest, finalement
), à Solène, mais aussi Mathilde, votre harem sis en lépicentre de votre univers, le Gibraltar Café, omphalos parisien
Bref, votre roman est aussi beau que volatile, trop semblable à trop dautres romans eux aussi si bien écrits. Il regorge de style, mais dimagination, aucune. Ce qui en soit nest pas grave, mais, à lire trop de ces histoires jolies et clones, la mémoire titube
et lon oublie au final qui a écrit quoi. Un conseil donc, sorte de posologie littéraire : lire du Paradisi sans enchainer trop vite avec du Forrest, et inversement, car risque damnésie en effet secondaire.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 09/11/2007 ) Imprimer
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