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Le grand méchant loup est en plus très laid
Emile Brami   Emile l'Africain
Fayard 2008 /  12 € - 78.6 ffr. / 110 pages
ISBN : 9782213637754
FORMAT : 12,0cm x 18.5cm

Date de Parution : 20/08/2008
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Avec ce roman court, un peu hésitant et un peu fantasque, Emile Brami s'amuse à mettre, puis à ôter, puis à remettre son masque d'homme catégorique et décidé. Décidé à quoi ? Décidé à être détestable. C'est l'histoire d'un écrivain qui a cherché à envelopper sa petite personne insignifiante, voire médiocrement répugnante mais somme toute morale puisqu'elle est accessible à la culpabilité, d'une grande cape de méchanceté, d'un nuage radioactif d'acrimonie, de lâcheté et de cruauté. A moins qu'il ne s'agisse de l'histoire d'un odieux bonhomme qui aurait appris à se maintenir bien sagement engoncé dans un manteau manquant légèrement d'élégance, mais confortable, tissé de courtoisie et d'affabilité.

L'ironie involontaire mais très amère que l'auteur et héros éponyme laisse traîner dans le sillage de ses mots, de ses petites phrases et anecdotes inutiles naît fondamentalement de cette ambiguïté et de ce vacillement perpétuel. L'incertitude fait sans nul doute planer de bien plus sombres interrogations sur la nature véritable du nommé Emile Brami que lorsqu'il explorait franchement, en aventurier honnête, la piste du mal dans les pas d'une lesbienne aigrie (Le Manteau de la Vierge, Fayard 2007) ou suivait ceux d'un vieillard peintre et paranoïaque (Art brut, Écriture, 2001).

Ici, c'est d'Emile l'africain qu'il s'agit. C'est lui qui, prenant son courage ou bien ses insuffisances à deux mains, remet entre celles d'un psychiatre des problèmes existentiels de quinquagénaire en proie aux mauvais rêves et aux remords. Bien entendu, il ne s'agit pas de n'importe quel professionnel de l'ego, mais d'un praticien à l'apparence suffisamment clownesque pour qu'il soit possible à Emile Brami de le sortir de la catégorie des «médecins de l'âme» germanopratins, et donc de l'autoriser à proférer quelques vérités bien senties. Sauf que le clairvoyant personnage (Pierre-Déodat pour les intimes) n'est tout de même, malgré tout, qu'un psychiatre et son rôle ici consiste principalement à formuler à voix haute l'avis d'un des acteurs présents dans la peau de son patient – celui qui est gentil et se déguise en méchant, cependant que ce dernier proteste et s'efforce de donner autant de poids et de crédibilité que possible à l'autre, le méchant qui se déguise en gentil. Pierre-Déodat n'a aucune légitimité à trancher, juger, peser et emballer Emile sous quelque étiquette que ce soit, ce n'est pas pour cela qu'il est payé, ainsi que le lui rappelle sèchement son client : «Je ne cherche pas le pardon, je ne veux pas de votre absolution hypocrite» (p.97).

Notre narrateur se hait fermement, sans cordialité et fait ce qu'il peut pour s'en justifier. C'est qu'il est méchant, se glisse, fuyant, hors de toute relation sociale qui ne lui procurerait pas une certaine volupté de pouvoir en même temps qu'un sentiment nauséeux d'atroce nullité ; il a des blessures à confirmer, en tête desquelles sa laideur, qui lui paraît proprement injustifiable. D'ailleurs, il aimerait bien que ce soit la source de ses maux tout comme leur probe illustration, la clé de sa relation aux autres. Il a une femme, c'est sûr, dont la présence lui paraît un malentendu abominable, d'autant plus incompréhensible qu'ils n'ont pour ainsi dire pas le moindre point commun. Pourtant ils s'en découvrent lorsqu'il est question de jeter un regard condescendant et vaguement affolé sur des voisins de vacances vulgaires, incultes et égoïstes au point de se servir d'un SDF recueilli (juste le temps nécessaire) comme d'un faire-valoir. Ce n'est pas du tout comme si Emile Brami était en train de se comporter de la même façon en nous étalant leur hypocrisie, et sa peu vigoureuse indignation, au grand jour...

Il regarde les gens qu'on ne voit pas, dans la rue, les cafés. Mais c'est pour profiter d'eux. Ou bien pour y chercher quelque chose d'un peu épique, pimenté, de quoi faire rêver le presque vieil homme qu'il est. Ou bien pour se demander ce qui lui arriverait à lui, Emile, si par malheur il se retrouvait dans la même situation, et conclure d'ailleurs qu'il serait bien incapable de se tirer d'affaire. Les derniers mots permettent enfin de comprendre pourquoi il est effectivement un salaud, extraordinaire au sens premier du terme : tout simplement parce qu'il n'a pas voulu voir que les autres ne sont pas différents de lui. Alors qu'il le savait, puisque ça l'a même rendu parfois plus gentil que la moyenne.

Emile Brami est sûrement un très vieil ami. Sinon comment expliquer que le récit des excursions qu'il mène dans des coins reculés et absolument privés de sa mémoire puisse nous sembler aussi naturel que sa conviction d'être mauvais par essence ? Le style est sobre, simple, le canevas de l'histoire, travaillé mais finalement assez basique. Pour saisir ce qu'il y a au coeur des étranges affinités que ce livre tisse entre l'auteur et son lecteur, il faut retourner à la fascination de l'enfant qui aimerait bien «voir avec les mains» mais, sachant que cela lui est impossible, continue en désespoir de cause de fixer le mécanisme du jouet dans la vitrine. Il voudrait bien savoir si Emile l'africain est un vrai méchant ou un gentil contrarié, parce que c'est une question sérieuse, tout de même ; s'il est Emile Brami ou bien juste l'un des personnages qui doivent se bousculer à l'intérieur de sa carcasse déformée par toute cette agitation du dedans ; et même, plus tragiquement, s'il existe en réalité des gens bien.

Alors le lecteur redevenu un simple gosse curieux prend garde à ne pas lâcher le fil des phrases et se retrouve ébahi et méditatif, une fois sa lecture achevée, à se demander si par hasard il n'aurait pas compris ce qu'Emile voulait dire.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 18/08/2008 )
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