L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Littérature  ->  
Rentrée Littéraire 2021
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies, Mémoires & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Classique
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Littérature Américaine
Divers
Entretiens

Notre équipe
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Littérature  ->  Romans & Nouvelles  
 

La mort des amants
Ismail Kadaré   L’Accident
Fayard 2008 /  19 € - 124.45 ffr. / 280 pages
ISBN : 978-2213636696

Date de parution : 27/08/2008.
Imprimer

Ismaïl Kadaré fait partie de ces auteurs que la célébrité n'empêche pas, bien au contraire, de goûter encore et toujours davantage la fréquentation des classiques, comme le prouvait sa récente étude d'un mythe shakespearien, sobrement intitulée Hamlet, ce prince impossible. Dans L'Accident, le contexte et l'écriture semblent tout ce qu'il y a de plus contemporain. Mais Anhouil, Giraudoux et tant d'autres sont là pour témoigner de la parfaite compatibilité entre fond immémoriel et forme moderne ; c'est peut-être même la marque des grandes oeuvres.

Impossible, en effet, de ne pas évoquer Baudelaire à la lecture de ce texte aux allures de roman policier, aussi étrange que cela puisse paraître, et ceci bien que son nom n'apparaisse pas dans l'ouvrage. Un accident automobile a causé la mort de deux personnes, un homme et une femme, un couple pour autant que l'on puisse se fier aux apparences, et le chauffeur du taxi est quant à lui resté dans un coma profond quelques temps. Lorsqu'il se réveille et se trouve enjoint par les forces de l'ordre de donner une explication plausible à la perte de contrôle du véhicule – nulle trace de freinage n'a pu être relevée, la voiture a simplement dévié du cours de la route, plongeant dans le ravin sans raison apparente -, il est bien en peine de s'exécuter. Tout juste peut-il affirmer qu'il a été violemment distrait par les passages : or ceux-ci, à l'en croire, «n'avaient rien fait d'autre... rien d'autre... que s'efforcer de... s'embrasser!» (p.11). Et quelque bizarre que puisse s'avérer la formulation, il n'en démord pas ; c'est même la seule chose dont il soit certain, chaque mot est pesé et exact. L'affaire, inexplicable, est donc classée parmi les accidents de type «rare».

Sauf que, troubles ex-yougoslaves obligent, les deux morts en étant originaires, les services secrets serbes et albanais cherchent à approfondir la question. Sans succès. C'est que tous les éléments sur lesquels ils finissent par mettre la main sont incohérents, déraisonnables, illogiques. Pourtant, un homme seul décide pour une raison inconnue (on ignore tout de lui, son nom, ses origines, ses motivations) d'élucider ce problème et y parvient presque, ou peut-être. Compilation des sources et interrogation des témoins, il ne néglige rien. Mais la clé n'est pas scientifique. Il lui faudra concevoir une histoire, un mythe, imaginer par-delà les mots. Aussi, la deuxième partie, qui correspond à ce récit auquel le rêve vient en aide, rompt radicalement, sur le ton, avec la très brève première : le suspense terrifiant, la peur d'un meurtrier aux pouvoirs mal définis cède la place à un autre type d'angoisse ; le thriller atypique devient roman d'amour, mi-gothique mi-ordinaire, sous un vernis mystique inquiétant. Ces deux-là ont tenté quelque chose de tout à fait inhabituel, difficilement crédible.

Et tout au long de la narration qui tente de saisir cette expérience extrême, on aura bien du mal à ne pas entendre les vers doux et paisibles des Fleurs du Mal, à ne pas se sentir glacé à son tour par leur mélodie qu'on retrouve, cachée, sous la plume d'Ismaïl Kadaré. «Usant à l'envie leurs chaleurs dernières,/ Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux/ Qui réfléchiront leurs doubles lumières/ Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux», murmurait Charles Baudelaire. Connaître ces mots ne détruit pas la longue attente, n'empêche pas l'interrogation muette d'étreindre l'âme du lecteur ; mais cette enquête impossible, où l'amour et le meurtre se font rétifs à l'analyse, s'offre aux songes comme le fait le poème vieux d'un siècle et demi, comme le fait aussi la ballade balkanique médiévale contant l'histoire d'Ago Ymeri, avec une ressemblante si troublante qu'on ne saurait sans remord la passer sous silence.

La tentative de Rovena et Bessfort, les deux amants de l'accident, est si terrible qu'elle s'inscrit d'emblée dans un temps autre, contemporain des mythes, et pourtant datée au jour près par le détective improvisé. Ont-ils réussi ? Rien n'est certain, rien n'est univoque dans cet univers dont on ne sait dire s'il est magique ou anodin, éternel ou scabreux. Le roman est porté par une tension dramatique magistrale, rendant vain tout décryptage précoce, inutiles toutes les explications logiques. Avec une subtilité parfaite I. Kadaré nous tend un piège duquel on ne peut espérer sortir qu'à la dernière page.

Celle-ci lue, alors peut-être pourrons-nous décider si les derniers vers de La Mort des amants décrivent la scène incongrue et terrifiante apparue dans le rétroviseur : «Nous échangerons un éclair unique,/ Comme un long sanglot, tout chargé d'adieu ;/ Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,/ Viendra ranimer, fidèle et joyeux,/ Les miroirs ternis et les flammes mortes». Décider, mais certainement pas savoir.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 27/08/2008 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd