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Reshimou d'un tsimtsoum amoureux
Véronique Bergen   Fleuve de cendres
Denoël 2008 /  20 € - 131 ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2207260722
FORMAT : 14X20 cm

Date de parution : 25/08/2008.
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Magicienne à la plume volubile et fragile, fantasque et grave, Véronique Bergen laisse éclore du bout des doigts les mots, chacun d'eux irradiant à sa façon la clarté parfaite de l'amour et des regrets, de la mort, du manque. Au fil des paragraphes, le Verbe prend chair des lettres, jaillit brusquement dans l'intervalle qui sépare le yod du hé, la fêlure qui accole le vav au hé : YHWH. Les syllabes se laissent porter par le rythme doux et balancé du texte, chantantes lorsque le filet de voix de la narration se fait joueur, Ambre et Chloé amoureuses, et que jaillissent comme autant de stances oubliées du Cantique des Cantiques les murmures glissés avec ferveur d'une bouche à l'autre. Chacune des cendres roulées par un torrent violent se transforme en diamant, pur et déposé avec délicatesse dans le flot des propos précieusement ciselés, étincelant dans la chaleur tendre des étés à jamais engloutis, brillant sur le sable.

Assises devant la mer, les deux amantes se cherchent en silence, sans logique ni raison, creusant sous la peau changeante de l'océan le chemin qui mène aux souvenirs interdits. Ambre trouve dans cette compagnie marine une correspondance pour le coeur convoité, une clé ouvrant la porte du labyrinthe de l'esprit chéri. Chloé s'enferme à double tour dans sa tour de Babel intérieure, souterraine, et dérive d'un courant à l'autre, pense, cherche à dompter des images qui flottent sous ses yeux sans leur résister, et les couche sur papier. Son journal intime est à la fois la fenêtre entrouverte par laquelle la lumière coule, et le filet étroit qui se resserre comme un piège autour de celle qui s'y cache.

La voix plus mûre d'Ambre s'interrompt parfois, après un, deux, trois chapitres, pour que leurs feuillets enfantins puissent se faufiler dans le Fleuve de cendres, et reprend. Au récit léger et terrible des amours musiciennes de la Chloé encore gracile et rêveuse répond en écho l'autre journal, celui du grand-oncle Ossip, compilation aux allures sombres de kaddish en guise de résumé d'une vie, pour le rescapé des camps. Les signes typographiques sculptés de Lev viennent se surimprimer et la question d'une éclipse divine demeure, menaçante : de retour afin de hanter les vivants, la faucheuse parée de croix gammées surgit soudain, venue tout droit des années nazies.

V. Bergen dresse alors le tableau ombreux de la mort tentant de saisir la vie, d'un faux-Jacob assaillant l'Ange ; au milieu des nuages grisâtres surplombant les cheminées hautes des fours crématoires, les étoiles s'illuminent et reprennent sans fin l'antienne des vivants pour ceux qui croient. Ceux qui croient que les mots réduisent à néant l'arithmétique mortifère et que le Dieu du Livre ne peut être égal à zéro, que conserver les noms des cadavres c'est leur insuffler un souffle éternel. La mémoire de Massada vient renverser le sens de la victoire, amère, et de la trilogie des valeurs évangéliques, fides et caritas demeurent, quand bien même spes s'évanouit par intermittences.

Dans ce roman splendide, Gustav Klimt et Otto Dix mêlent leurs pinceaux à ceux de Marc Chagall, invitent Max Ernst pour une orgie de mots, transportant par leur violence poétique le lecteur dans un monde émaillé de miettes d'or et de perles transparentes, de petits morceaux de songes qui papillonnent dans l'obscurité glacée d'un siècle effrayant. Chaque phrase donne envie d'être aimée pour elle seule, et chacune d'entre elles rehausse de sa beauté celle de ses compagnes ; ce que l'on prend pour un feu d'artifice bizarrement inaugural s'avère suivi d'une file ininterrompue d'explosions sensuelles et littéraires. La promesse intenable est tenue. Dans l'affolement intellectuel qui en résulte, V. Bergen aurait tout loisir de raconter n'importe quoi : l'oeil ne peut se détacher des lettres qu'elle aligne, ensorceleuse, dans une ivresse amoureuse et mystique. Elle le sait bien, elle qui en profite pour avancer assertions polémiques concernant l'antisémitisme moyen-oriental et leçons d'histoire ; pourtant, ce n'est certainement pas en professeur qu'elle est le plus irrésistible, et l'on en vient parfois à regretter que la poétesse se fourvoie dans les voies politiques. Une demie-page plus loin, l'idée d'avoir pu lui reprocher quoi que ce soit semble incongrue...


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 27/08/2008 )
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