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Histoire d'amour au pays des charters
Fadéla Hebbadj   L’Arbre d’ébène
Buchet Chastel 2008 /  14 € - 91.7 ffr. / 150 pages
ISBN : 978-2283023525
FORMAT : 12X19 cm

Date de parution : 30/08/2008.
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La littérature française actuelle, en encourageant l'autofiction, décline régulièrement les questions de l'immigration, de l'intégration. Cependant, rares sont les écrits à allier avec autant de réussite poétique romanesque pur et témoignage social. Dans L'Arbre d'ébène, le narrateur est un petit garçon, l'auteur, une femme, professeur de philosophie : il ne s'agit certainement pas d'une autobiographie stricto sensu ; les lieux sont cités avec exactitude et les attitudes plus encore : la peinture est d'un réalisme saisissant. Navigant entre les genres, l'ouvrage est le lieu où se rencontrent les cultures maliennes et françaises, non celui où elles se métissent. En ce sens le livre est finalement assez différent de la plupart de ceux auxquels on aurait pu penser dans un premier temps l'assimiler.

La France est un pays étranger. À travers les yeux de Nasser, le lecteur découvre un monde caché au cœur-même de Paris, celui des sans-papiers, de l'immigration non choisie : cela ne signifie aucunement qu'il soit bien difficile de le connaître aujourd’hui. Mais, sillonné par les hommes en uniformes, ce monde-là est réduit à une dimension parallèle et marginale où les individus doivent, pour échapper à la traque et survivre, apprendre à se mêler le moins possible aux habitants officiels. De plus, chez les Blancs, «tout le monde a besoin d'être seul», alors les occasion de frayer entre gens de couleurs différentes et les vrais sourires se font rares. Pourtant, Nasser croise quelques bons Samaritains, quelques âmes perdues dans leur solitude ou simplement justes, qui acceptent de tendre une main amicale à un enfant et sa mère malade. Mais le voyage en cayuco jusqu'à Marseille a laissé des traces, il a coupé à la racine leurs vies et chaque jour est une lutte dans laquelle l'amour que Mama et son fils se portent est à la fois l'enjeu principal et l'arme suprême.

Le chemin épuisant qui mène à un Eldorado portant en lui déception et humiliation est dessiné sans férocité, sans empathie larmoyante, simplement avec l'acuité dépourvue de complaisance d'un regard dans lequel le sens pratique épaule fermement une cosmogonie encore pleine de parfums d'Afrique. L'enfant voudrait parfois baisser les bras, voudrait parfois avoir le droit de vivre ici mais librement, comme un être humain, parfois retrouver un pays où les gens parlent malien comme eux. Il n'idéalise ni la France ni son pays d'origine. Il voit la violence des Noirs comme des Blancs, qui brise sa mère parce qu'elle est femme et sans mari, parce qu'elle est étrangère, parce qu'elle est pauvre, la bêtise qui lui ferme les portes de l'école et fait des hôpitaux une antichambre des centres de rétention. Pas vraiment insouciant, pas vraiment grave, il est lucide en même temps que pur, et c'est ce caractère étrange qu'il partage avec Momo dont il a découvert les aventures dans La Vie devant soi (E. Ajar). En citant ouvertement cet ouvrage qu'une lecture attentive devait de toute façon évoquer, F. Hebbadj propose de façon explicite la possibilité d'une comparaison à coup sûr dérangeante.

Car, si le chef-d'œuvre d'Emile Ajar se classe aisément parmi les livres favoris de bon nombre de Français, c'est à une actualisation de son caractère corrosif que l'auteur appelle. Parler des «enfants de putes» aujourd'hui ne choquera plus grand monde, pour la bonne raison qu'ils ne représentent plus guère de «problème social majeur» et que les défenseurs de ce qu'on a longtemps nommé bonnes mœurs ne sont plus là pour s'offusquer du choix d'un thème indécent. Il deviendrait donc presque facile de ne plus voir dans La Vie devant soi que les aspects touchants de la relation entre Mme Rosa et Momo, en oubliant que c'est précisément l'affirmation de l'humanité profonde, irréductible, des rapports interpersonnels et des préoccupations dans un environnement de parias qui constitue la force du récit. En 2008, il pourrait paraître étrange d'affirmer que l'on puisse rééditer la même provocation. Pourtant, en nouant l'intrigue du roman autour de l'amour filial et en reléguant d'une certaine façon la question de l'immigration à un rôle de toile de fond, certes omniprésente et décisive, mais néanmoins limitée à n'être que l'un des éléments du contexte, F. Hebbadj signe ici un livre d'une force et d'une beauté rares : pour être sans papiers on n'en a pas moins le droit d'aimer et d'essayer de le dire.

«Je t'écoute, Mama. Et quand je t'écoute, je pleure. Je ne voulais pas te faire mal. Et moi, allongé dans le sac de couchage, quand tu t'en vas... C'est pas du luxe, et si je suis sensible, si je pleure comme un femme, c'est à cause du désert que je n'ai pas connu.»


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 01/09/2008 )
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