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John Fante : portrait de l’aventurier
Stephen Cooper   Plein de vie - Une biographie de John Fante
10/18 - Bibliothèques 2002 /  10 € - 65.5 ffr. / 514 pages
ISBN : 2-264-03416-5
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« Qui est votre auteur préféré ?
- Fante.
- Qui ça ?
- John F.a.n.t.e. Demande à la poussière, Bandini...
- Pourquoi lÂ’aimiez-vous ?
- Une émotion totale. Un homme très brave. »
Ces lignes sont extraites de Women de Charles Bukowski. Le personnage questionné s’appelle Henri Chinaski, qui ressemble comme un frère à Arturo Bandini, porte-parole quant à lui de John Fante, héros de sa saga personnelle. On connaît l’admiration que portait Bukowski à Fante. D’être « le prince des hors-la-loi de la littérature américaine » comme l’appelle le biographe Stephen Cooper, Bukowski le devait en effet un peu à son glorieux aîné. Le meilleur témoignage de cette admiration littéraire reste la préface qu’il écrivit à Demande à la poussière. Bukowski y rend compte de sa découverte, dans une bibliothèque de quartier, d’un auteur qui ne trichait pas - l’inverse d’un phraseur ou d’un poseur - ; d’un style et d’un imaginaire marqués au coin de l’émotion la plus authentique. « Chaque ligne avait son énergie propre et était suivie d’une autre de la même veine. La substance même de chaque ligne donnait à la page une forme, un sentiment de quelque chose qui était gravé. Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. » En quelques lignes, Bukowski campait le bonhomme Fante comme l’anti-héros héroïque qu’il avait été toute sa vie, professeur d’énergie vivant d’expédients comme de traits de génie.

Stephen Cooper, dans une biographie au titre calqué sur celui du roman qui fut le seul best-seller de John Fante au début des années 1950, Pleins de vie, revient sur l’itinéraire d’un homme qui, malgré un immense talent, peina à gagner ses galons de grand écrivain auprès de la critique. Un exemple : si l’oeuvre de Fante, grâce notamment au travail d’édition de Christian Bourgois, bénéficie désormais d’une grande popularité auprès du public français, elle n’a su convaincre les auteurs du Dictionnaire mondial des littératures qui vient de paraître chez Larousse. Le cas Fante – « beatnik avant les beatniks », comme l’évoque sa cousine Louise, ou comme le dit Stephen Cooper, l’écrivain des « vicissitudes jumelles de l’écriture et du sexe », rappelle un peu le cas Roth (Philip) qui eut aussi longtemps à lutter contre ce préjugé qui veut que la littérature distrayante – ô combien distrayante ! – mais facile ne fait pas partie de la « grande » littérature. Entre Fante et Roth, il y a d’ailleurs plus d’un rapprochement. La fantaisie sexuelle du premier telle qu’elle se donne à voir dans ses premières nouvelles (« Et tu sais ce que je faisais ? J’attrapais un poulet et je le baisais ») préfigure en effet les morceaux de bravoure de Portnoy et son complexe, et de manière générale les récits du Roth première mouture.

A l’image d’une montagne russe, la vie de Fante fut une succession de succès et de revers. Assez tôt, dès le début des années 1930, l’écrivain entre en contact avec Hollywood. Il travaillera notamment pour Orson Welles à un scénario qui, de fait, n’aboutira jamais à un film. Plus tard, Peter Sellers proposera d’adapter un des derniers romans de Fante, Mon Chien stupide. Son roman ultime, Les Compagnons de la Grappe, un des plus beaux sans doute en ce qu’il porte sur un thème grave, la mort du père, attirera l’attention de Coppola qui invitera les Fante - John et sa femme Joyce - à dîner dans sa villa. De bout en bout, l’écrivain oscillera entre l’écriture de ses livres et celle des scenarii. De cette intermittente carrière de scénariste hollywoodien, il rendra compte de certains épisodes dans un récit au comique truculent, Rêves de Bunker Hill. Les raisons de cette collaboration que Fante n’hésitait pas à assimiler à de la prostitution (il s’évoquait lui-même dans une lettre à une amie comme le « lèche-cul de la Paramount ») étaient, on s’en doute, essentiellement économiques. Lucide, l’écrivain avait conscience du caractère dispendieux de cette occupation dont aurait forcément à pâtir son oeuvre de romancier.

Fante, c’est aussi l’histoire d’un type qui, élevé dans une atmosphère religieuse, tant à la maison qu’à l’école, reviendra in fine à Dieu (lire : Chenapan) après avoir eu sa période nietzschéenne (lire : Je vous salue Marie). L’écrivain fut en effet dans ses jeunes années un disciple de Nietzsche. « Fante, écrit Stephen Cooper, comparait le besoin qu’il avait à l’époque de relire le philosophe à celui d’un malade qui doit prendre son médicament, « et à hautes doses ». » Puis, conformément à la prévision d’Elizabeth Nowell qui fut son agent littéraire et une des premières à croire à son génie, Fante, tel l’enfant prodigue, revint à la religion de même qu’à des sentiments plus cordiaux, voire plus aimants, à l’égard de son père. Les Compagnons de la Grappe tranchant ici avec un roman comme Bandini où l’écrivain dresse un portrait assez ambivalent, partagé entre l’admiration et la détestation, de la figure paternelle.

S’il ne tarit pas d’éloges sur l’écrivain, Stephen Cooper nous propose un portrait plus contrasté de l’homme Fante. Porté au jeu et à la boisson, coléreux et parfois même violent notamment avec ses petites amies, Fante n’est pas un tendre. Il a aussi un côté matamore, qui peut plaire (n’est-ce pas aussi un trait des Bandini !) mais aussi agacer. Écrivain en herbe, se prenant déjà plus ou moins pour Hemingway, il se voit bien couronné du Nobel dans... quarante ans à peu près ! Stephen Cooper nous livre des facettes plus sombres de son caractère : s’il n’est pas misogyne, il est en revanche un brin homophobe. Surtout, il est porté peut-être plus qu’un autre à proférer des injures raciales. Rien ici de ce qui représenterait un racisme profond, atavique, mais plutôt un racisme de la castagne verbale : son biographe nous explique que Fante ne fait qu’appliquer inconsciemment la loi du talion, lui-même ayant eu à subir dans sa jeunesse le racisme des autochtones de longue date à l’égard des « Ritals » ou des « Spaghetti ». Chacun, de fait, n’a t-il pas sa part d’ombre ? C’est le mérite de la biographie de Stephen Cooper, quand elle éclaire le talent d’un écrivain et l’importance de son oeuvre, de se refuser à être une hagiographie plate et convenue.


Thomas Regnier
( Mis en ligne le 17/11/2002 )
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