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Voyager, autrement?
Camille de Toledo   Visiter le Flurkistan - Ou les illusions de la littérature monde
PUF - Travaux Pratiques 2008 /  12 € - 78.6 ffr. / 111 pages
ISBN : 978-2-13-057040-0
FORMAT : 12,5cm x 19cm
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La publication en mars 2007 d'un «Manifeste pour une 'littérature-monde' en français» a fait débat dans le milieu littéraire, visé au coeur par un collectif d'auteurs. Ceux-ci se plaçaient à sa périphérie, affirmaient représenter un monde qui écrit en Français loin du centre de gravité germanopratin et parcourir ce monde pour en découvrir la réalité, souhaitaient promouvoir une écriture ancrée dans ce réel ; être des écrivains-voyageurs. Ils critiquaient des décennies de littérature sclérosée par la linguistique et le commentaire, pour redécouvrir la vérité des choses, l'expression fictionnelle, la création pure.

Camille de Toledo a souhaité répondre à ces écrivains-voyageurs ; c'est l'objet de cette visite au Flurkistan. Il relève leur naïveté de défricheurs d'une terre déjà labourée en profondeur, de conquistadors d'un monde d'où la Terra Incognita a disparu. Il cerne l'ambiguïté de ce manifeste qui, souhaitant en finir avec l'idéologie, les figures imposées, en crée de nouvelles. «Le triptyque de la poussière, du dehors et de l’inconnu est, en fait, une idéologie substitutive, une incroyable réduction des possibilités de la littérature. Croyant autoriser et libérer la fiction – et avec elle le récit, l’histoire, l’incarnation –, elle les assigne à résidence dans cette clairière du vrai, du réel que les idéologues dans leur œuvre de quadrillage nous auraient trop longtemps empêchés de fouler» (p.30).

L'auteur propose d'autres références, alternatives à la figure de l'écrivain-voyageur, notamment celle du malade, pour qui la littérature n'est pas tant un moyen de parcourir le monde que de le recréer dans sa chambre, ainsi que l'ont fait Proust ou Stevenson. Mieux, il reprend à son compte les héros des écrivains-voyageurs, Le Clézio (signataire du manifeste) ou Césaire, pour montrer comment l'écriture «linguiste» et l'expression du concret, plutôt que de s'opposer se complètent, se fertilisent mutuellement, afin de saisir la richesse et la complexité d'un monde qui ne peut plus être décrit par une simple carte géographique.

De Toledo, lui, a bien compris qu'il vit dans ce temps «post-moderne», aussi l'assume-t-il et en tire-t-il les conséquences. Les écrivains-voyageurs, dit-il, ont posé de bonnes questions en y donnant de mauvaises réponses, des réponses simplistes à tout le moins ; il convainc en cherchant à les dépasser, à ne pas se contenter de situer une source mais, suivant Magris, à chercher l'origine de cette résurgence. Le verbe ne peut donc se suffire de la description ou même de l'invention narrative, il doit recréer, transcender les dimensions forcément limitées du réel. Il convainc moins en enrobant ces intuitions d'un vocabulaire devenu banal dans la post-modernité, en maniant légèrement des concepts que leur vogue a brouillés («grand récit», «déterritorialisation»).

En effet, la forme, l'expression, le style même de Camille de Toledo sont marqués par cette post-modernité dont il n'évite pas tous les tics. Il se rêve en nouveau du Bellay, défendant et illustrant la langue française d'un siècle nouveau, maniant une syntaxe élégante tout en sachant faire de la place à l'invention, à la rupture, à l'anacoluthe. Ce serait une façon de renouveler les bons usages, sans se laisser dominer par les bonnes manières édictées par un parti ou l'autre ; cela tend pourtant à une nouvelle préciosité, à une mode radicale-chic.

Camille de Toledo en a été, de cette vogue, au moment de la parution très commentée de son premier livre Archimondain Jolipunk. Il a le mérite de continuer à creuser son sillon, à se colleter avec cette réalité qui n'est plus composée que de strates de fiction imbriquées. «Nous vivons désormais dans un écosystème de sensations balisées, reproduites, codées, dont nous ne sortons jamais réellement» (p.42). Il assigne ce rôle à la littérature : ne pas seulement s'inspirer du réel, mais le réinventer à travers ses réminiscences. Le mirage de la continuité dans l'écriture est mort avec Julien Gracq, le dernier des classiques. De Toledo qui s’en réclame n’a pu qu'en faire l'expérience : «Tandis que je croyais inventer Flurkistan, je ne faisais qu’excaver un souvenir déporté, une dérive dyslexique» (p.103), une réminiscence du Farghestan situé de l’autre côté de la mer des Syrtes.

L’écrivain qui ne peut plus être un découvreur est condamné à la figure du "couvreur", celle qui a tué Gracq, ou bien du "poinçonneur". La perspective n’est pas enchanteresse ; néanmoins elle donne un avenir, prouve une foi en la littérature. Ce court essai procure surtout l’envie de lire les romans de son auteur.


Marc Lucas
( Mis en ligne le 08/12/2008 )
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